Bien entendu, il y a la réalité des faits. Il y a aussi les vérités de chacun. Et au-dessus de cela, il y a la réalité des fées. Cela s’appelle le sur-Réel. Le mouvement surréaliste nait de cette prise de conscience.
Quand le monde sombre dans l’obscurantisme radical, dans l’emprise du grand capital ou dans la médiocrité de la guerre, il faut se ressaisir. À la mort de Guillaume Apollinaire, ils sont quelques-uns à se dire : plus jamais cela : « plus jamais de guerres, plus jamais de manipulations médiatiques, plus jamais de mains sales de mises sur la politique ».
Il y a eu un précédent : déjà après la Commune, les hydropathes se sont emparés du sujet : comment se ressaisir et prévenir toute catastrophe plausible ?
Tristan Tzara l’a parfaitement exprimé dans De nos oiseaux :
« … un seul remède
L’intelligence
En vente partout
Gratuit »
Il existe une intelligence cartésienne, mais il existe aussi une pensée singulière qui se nourrit du sensible propre à chacun. La pensée surréaliste est avant tout politique.
Comment se donner les outils pour extraire la médiocrité de notre quotidienneté ? La poésie est le plus puissant des outils. Et pas seulement les vers qui rongent les fruits du jour. Il y a la psychanalyse, la philosophie en sa pratique, le spiritisme, les substances diverses…
Nous proposons ici, à partir de peintures de Roberto Matta, une régénérante interprétation des œuvres, complémentaire à celle de la connaissance universitaire. Il ne s’agit pas ici d’y aller de sa vérité mais de la réalité de chacun. Apporter une sûrRéalité à la matière des faits.
Des écrivains de tous horizons se proposent d’ouvrir les nôtres. La méthode du cut-up appliqué à Arcane 17 d’André Breton nous dévoile le sens profond de son écriture.
Un essai sur Gordon Onslow Ford et sa relation avec Roberto Matta nous confirme l’essence même d’être au monde : le présent qu’est l’amitié.
Pour célébrer les 100 ans du mouvement surréaliste nous démontrons ici que Surréalisme Not Dead. Il est applicable à tout, tout de suite, gratuit, partout.
Libre à nous, Manifestez-vous.
Federico Garcia Lorca dans « Les Berceuses » évoque la nécessité d’assumer nos peurs afin de laisser se révéler à nous les puissances des contes et des légendes, des monstres et des fées. Une des clefs du penser surréaliste est dans Le Miroir du merveilleux de Pierre Mabille.
André Breton, Manifeste du surréalisme.
Paris, Éditions du Sagittaire, 1924
Un matin de janvier 2024, dans mon courrier, je trouvai une enveloppe qui émettait un petit cliquetis quand je la secouais. C’était un rectangle blanc d’où se détachait toute une guirlande de personnages aux corps d’aquarelle dont je reconnaissais l’auteur. C’étaient les messagers personnels de Ramuntcho qui, à mon signal, se mettraient à parler. Peut-être même à chanter, tels des troubadours.
Et à l’intérieur, un petit objet enfermé dans du bulle n’attendait qu’une chose : délivrer les airs qu’il contenait. Une boîte d’environ six ou sept centimètres carrés. Un centimètre d’épaisseur. Une bande magnétique s’y trouvait, accompagnée d’une feuille de papier A4 sur laquelle je lisais :
« Alors voilà
J’ai trouvé une bande chez mon père
Elle doit dater de 62 ou 63
On y entend Marcel Duchamp qui s’entretient avec André Breton
autour de la question du penser surréaliste.
Il y a la pensée et le penser
C’est clair et limpide et ça cloue le bec à beaucoup de confusion
Quand un journaliste dit “c’est surréaliste”
C’est pas le bon mot »
C’était signé Ramuntcho.
Vous y êtes, ça y est. Vous êtes engagé dans le dispositif : mais qu’est-ce que c’est ce texte qui se prétend être une présentation ou une introduction : c’est un prologue. Une mise en bouche. Oui, un hors d’œuvre ou plutôt un en-œuvre. Car le sûrRéalisme est un œuf. Une chenille qui se débrouille comme elle peut avec les illusions d’une réalité qui serait bien utile, si elle n’était qu’une. Et cette chenille a besoin de révélation pour devenir papillon afin de s’élever vers ce que Sarane Alexandrian appelait le « supérieur inconnu ». Il ne s’agit pas ici de comprendre mais de sentir. C’est un autre type de connaissance pour laquelle le terme même est inopérant.
Il avait découvert récemment cet enregistrement dans les affaires de Malitte, sa mère, quatrième épouse de Roberto Matta. C’était dans une valise provenant du manoir de Boissy-Sans-Avoir où le couple avait élu domicile dès les premières années de leur idylle. On avait baptisé les lieux « La Fontaine dans l’abîme ». Je n’avais plus qu’à ouvrir l’œil et tendre l’oreille, tout cela coulerait alors de source. Matta avait maintes fois invité André Breton sur les lieux. Une carte postale disait même « C’est la maison ; un lac, la forêt vierge et la mer. Elle vous attend les draps ouverts. »
Surréaliste me suis-je dit… mais pas comme l’aurait dit un journaliste. Il ne s’agissait pas d’un irréel, mais d’un sur-réel, un réalisme augmenté. Une case en plus plutôt qu’en moins, une case secrète, celle de l’inconscient. Une cellule supplémentaire dans des cerveaux en ébullition qui avaient, en plus de tout, des visions. Des hallucinations. Le don de double-vue plutôt que la berlue.
Alors je m’étais projetée comme dans un rêve éveillé au rez-de-chaussée de la maison, et devant la cheminée que le vent faisait siffler, les mots qui jusque-là dansaient sur le papier, comme sur une partition, se mettaient brusquement à filer, et s’échapper un à un de mon courrier.
Mon vieux magnéto étant aphone, je me suis contentée de passer le doigt sur le ruban magnétique pour entendre ce qui se disait ce soir de 1962 ou 63…
On entend babiller un gamin qui, tout en actionnant une crécelle, déballe avec curiosité le contenu de son cornet à surprises : une toupie et quelques friandises torsadées en émergent.
Pendant ce temps, une radio annonce d’une voix aigre et dans la stupeur générale, l’assassinat à Dallas de John Fitzgerald Kennedy, le Président des États-Unis.
Impassible, Roberto Matta fait crépiter une bûche dans la cheminée, s’allume une cigarette dans les braises, et éteint le poste. La peinture est et reste « cosa mentale ». Pas besoin de la parasiter.
Juste à côté, Marcel Duchamp, l’ANAR-tiste, est concentré à la manière d’un grand sage sur son échiquier. Telle une bague fumante glissée entre l’index et le majeur, son cigare fait des volutes sur sa main droite, celle qui est censée jouer. Puis comme sorti de son sommeil, il brandit soudain une tour qu’il fait claquer avec assurance sur le damier. C’est avec un chat au sourire oblique, un bleu de Prusse, de Cobalt ou de Birmanie, installé face à lui, qu’il semble disputer la partie. « Quelles sont les règles du jeu ? Et quelle stratégie adopter ? » semble-t-il se demander.
« Ah… Nous sommes tous des pions » soupire Roberto en inspirant sa Craven A. Ce à quoi Marcel Duchamp, qui cherche à se créer une nouvelle échappatoire, ajoute « En tout cas, ce que je constate, c’est que si tous les artistes ne sont pas des joueurs d’échecs, tous les joueurs d’échecs sont, eux, des artistes. »
Se redressant tout-à-coup sur son siège, Matta s’adresse à Breton, et lui suggère de rédiger immédiatement un nouveau Manifeste du Surréalisme. « Un manifeste digne de l’année 1963 », précise-t-il.
C’est oublier que celui que l’on nomme vulgairement « le pape du Surréalisme », malgré l’estime infinie qu’il porte à Matta et le talent hors-norme qu’il lui reconnaît, l’a exclu du mouvement il y a quelques décennies de cela.
Heureusement, personne ne s’attarde sur cette dissension. Quant à Duchamp, cherchant à apaiser l’atmosphère et faire diversion, il injecte un peu de légèreté dans la discussion: « Les questions d’art ne m’intéressent absolument pas. J’aime mieux vivre, respirer que travailler » déclare-t-il, plus dandy que Dada, avec son habituel détachement.
Alors, reprenant un jeu cher à Breton, celui des définitions-suppositions-prévisions, Matta, tente à nouveau d’amorcer un débat, sans éviter les questions qui fâchent. Éliminant de son esprit des questions trop simples telles que « Qu’est-ce que le rire ? Qu’est-ce le doute ? ou qu’est-ce qu’un parapluie ? » –déjà maintes fois résolues au cours de quelques “cadavres exquis” antérieurs–, il demande de but en blanc « Qu’est-ce que le Surréalisme ? » Tout simplement.
À cet exercice mental, Breton se plie sans effort, presque automatiquement : « Surréalisme : nom masculin » lance-t-il. Puis s’arrête net, légèrement agacé d’avoir à se répéter auprès de deux membres historiques du groupe, il signale que « La définition n’a pas bougé dans son principe depuis le jour où elle a été formulée c’est-à-dire en 1924 ». « Le Surréalisme était présenté comme automatisme psychique pur par lequel on se proposait d’exprimer par écrit ou de toute autre manière, le véritable mécanisme de la pensée. Il s’agissait d’une dictée de la pensée en dehors de tout contrôle – et ceci était important -… de tout contrôle exercé par la raison, et en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » Un éloquent silence s’installe alors jusqu’à ce qu’il ne soit brutalement rompu.
« Et vous, Marcel, dans quel camp êtes-vous ? Manifestez-vous ! » s’exclame Breton.
« Le Surréalisme est tout de même une veine du dadaïsme » rappelle l’artiste à l’origine du Grand Verre. « Ce qui a été à la base du Surréalisme a été l’onirisme, les rêves, les phénomènes de l’inconscient que peu d’artistes avant avaient pu même penser à mentionner ou à utiliser. Évidemment, l’existence de Freud n’est pas pour rien dans tout cela. Il est normal qu’une œuvre telle que celle de Freud ait un écho dans le domaine de l’art. »
Puis il continue sur sa lancée tout en poussant ses pions sur l’échiquier : « On sent qu’il y a un esprit, presque une métaphysique Surréaliste qui est très difficilement définissable et qui n’a pas été complètement digérée encore… » conclut-il.
Et soudain, comme dans une crise de hoquet, le ruban magnétique se met à convulser. Comme un rouleau de réglisse en forme de derviche ou un derviche qu’on peinerait à dévisser, il tournoie sur lui-même vitesse grand V. Il rend l’âme et celle-ci, enfin libérée, se jette dans la nuit pour s’y noyer.
Tristan Tzara, De nos oiseaux. Dessins par Arp.
Paris, Éditions Kra, 1929
Rien ne les atteint
Ils sont comme éteints
Il y a un écran allumé mais tout gris
Il ne s’y passe rien
Parfois une silhouette passe
Ce doit être derrière un rideau
Un rideau de fumée
Cette image était dans la tête de ce monsieur
dans la salle d’attente
Il n’est pas encore dos au mur
Simultanément à la visite chez le psychiatre,
le tableau était en train d’être peint
Puis dans le salon
Sous le tableau
Le canapé
Alors qu’en est-il ? Est-ce la main qui peint ou quelque chose qui la précède ? Quelle est cette chose ? Est-ce une « chose », une « énergie » ? De quelles matières sont faits les « faits » ? Certaines constructions demandent un certain effort pour en rassembler le sens. L’essence ?
Les textes gris sont des fragments spacieux temporels, ils ont été mis en ton clair en hommage au tirage de tête du livre Cravan, Vaché, Rigaut d’Odette et Alain Virmaux, où une page était à décoder.
Roberto MATTA
Sans Titre, 1990 ca.
Acrylique et encre sur toile
110 x 104 cm
Bouleversante et candide
En conscience totale de ses moyens
Ses yeux encore humides de la première rosée du matin
Les silex bleus surplombent le pinceau discret
La gracieuse bête est en alerte
La fatalité s’acharne au moment où l’on en a le plus besoin
Régénérer le monde aussi vite qu’il aura été détruit
Rien ne justifie l’aplomb des idées
Avant tout en finir avec l’idée de culture humaine
L’arbitraire n’a absolument rien de fatal
Transgresser les détails et les jambes plongent par la vie panique
Rédimer cette époque sauvage et débouter l’homme tant que la
femme n’aura pas retrouvé ce pouvoir dans sa place équitable.
L’entendement ne le dissuade pas définitivement
d’une incuriosité obligatoire
Prodigieuse mousse de savon
Falaises de plumages blancs
La laborieuse muraille du tragique nous offre les moyens
de remédier à l’étrange malédiction qui frappe autant les
malheurs que les bienfaits
De quels outils disposons-nous pour accéder à une réalité augmentée ? Depuis la nuit des temps les peuples ont développé des techniques pour s’élever, non pas hors du réel, mais dans un espace où l’invisible devient perceptique*. Certains font usage de substances et alors c’est comme « par elles » que se donnent à voir certaines énergies. D’autres développent des méthodologies respiratoires ou physiques. L’écriture automatique, le spiritisme sont aussi dans la boîte à outils sûrRéaliste. Ici il ne s’agit pas de cela. Comme il est démontré aujourd’hui par la physique quantique : le temps n’est pas linéaire. Ainsi une invention de demain peut-être déjà mise en pratique depuis fort longtemps. Les textes de cette couleur sont tous extraits d’Arcane 17, rien n’a été ajouté. Et par la méthode des cut-ups inventée par William Burroughs et Brion Gysin, se trouve ainsi révélé comme un message secret qui faisait déjà partie du texte d’André Breton. Il n’y a pas une vérité mais de multiples réalités qui s’agencent entres elles afin de générer un monde supérieur. D’où la conscience sûrRéaliste.
* Jean-Pierre Brisset** a théorisé ce que François Rabelais avait déjà mis en pratique et sûrement avant lui bien des troubadours et des conteurs : les mots sont à nous, il nous appartient d’en développer les propriétés.
** J’avais dix ans lorsque mon père m’offrit l’Anthologie de l’humour noir, qui comme son nom l’indique n’est pas du tout ce qu’il prétend être, en revanche c’est une merveilleuse introduction à la pensée de Breton, qui comme toute pensée est précédée par ses influences.
Roberto MATTA
Sans Titre, 1990 ca.
Acrylique et encre sur toile
107 x 135 cm
… à propos d’une œuvre de Roberto Matta
C’était un drôle de tableau. Un peintre en vogue en avait fait l’acquisition sur un coup de tête au marché aux puces puis l’avait
repeint intégralement en jaune – c’était la couleur tendance à l’époque – pour réaliser un « monochrome sensible », comme il aimait à définir son travail.
Un autre peintre, qui partageait, en attendant fortune et réussite, un atelier avec le monochromiste distingué, fut impressionné par l’œuvre qui allait malheureusement disparaître. Il ne dit rien, mais le palimpseste lui semblant bien plus intéressant que la création géniale de son colocataire, il se précipita sur son carnet – sa mémoire de poche, son journal d’art et d’amour. Il y fit une description du tableau original, un récit de sa découverte, un compte-rendu de ses impressions, du projet de son colocataire et une autre description, par nature succincte, de la nouvelle œuvre monochrome. Il croqua sur son carnet les formes générales, la mise en place de la scène, fit quelques dessins plus fouillés de certains détails significatifs, puis il nota certains points techniques qui lui paraissaient importants, comme l’utilisation de touches de peinture rapides, de couches de couleurs superposées, de dessin au trait sur des formes abstraites, parfois floues ou transparentes ; techniques contradictoires, mêlant urgence, patience et préméditation avec improvisation et spontanéité sans repentance.
Il parcourut aussi tous ses livres d’histoire de l’art et ceux des différentes bibliothèques de la ville, sans trouver trace de la moindre image ou description d’un travail similaire. Il nota scrupuleusement dans son carnet toutes ses recherches infructueuses. Il s’intéressa alors à la scène représentée elle-même : une femme à cinq yeux, qu’il imaginait alternativement et parfois concomitamment comme une danseuse et comme l’âme visionnaire du peintre, un homme de dos coiffé d’un drôle de chapeau, noceur ou sorcier (ou peut-être le peintre lui-même) et un oiseau géant, chargeant de son bec le couple et plus particulièrement le peintre-sorcier-noceur. Là non plus, ses recherches, quoique opiniâtres et méticuleuses, ne furent couronnées d’aucun succès. Une fois encore, il nota tout, mais avec moins d’enthousiasme. Il finit par décider d’arrêter là ses recherches et d’en finir avec ce qui devenait une obsession stérile. Il partit se soûler tranquillement dans un bar pour artistes maudits comme il en existe tant et où il rencontra quelques spécimens de son engeance et fêta ainsi sans retenue la fin de son aventure en jaune et s’endormit fort tard sur une inconfortable banquette peine de bosses, de trous et de ressorts. Ce n’est que quelques jours plus tard que, remis de son mal de dos et de sa gueule de bois, il repensa à cette soirée et aussi à son carnet dont il constata avec tristesse la disparition. Il chercha, pesta, pleura même, puis tenta en toute perte de réunir dans les fils de sa mémoire ses dernières recherches, mais n’arrivant à rien se remémorer, même pas le sujet du tableau monochromisé ou ce qui l’avait intéressé dans cette œuvre, il abandonna tristement puis se fit une raison et repartit à l’attaque de ses recherches picturales infructueuses qui le menèrent à la misère ou à la gloire, l’histoire ne le dit pas.
Mais l’aventure du carnet, elle, continua. Retrouvé par le serveur du matin et mis de côté pour réclamation éventuelle, il fut utilisé par la fille du patron du bar pour ses gribouillages, puis perdu ou volé, retrouvé quelques années plus tard dans un vide-greniers par un brocanteur, mis en vente par lui à vil prix et acheté beaucoup plus cher à un galeriste peu scrupuleux par un touriste américa inpersuadé et non dissuadé par le marchand d’avoir affaire au carnet de notes d’un immense artiste dont la cote dépasserait bientôt les bornes, ce qui ne fut, bien sûr, pas le cas. Le touriste américain collectionneur, déçu de son infortune, en fit présent à un jeune artiste d’origine latino-américaine, fils d’une connaissance lointaine.
Celui-ci partait bientôt pour Paris, alors encore capitale des arts et Mecque du marché de la modernité. C’est donc dans l’avion qu’il prit connaissance du contenu du fameux carnet. L’ayant lu d’une traite tant ce qu’il découvrait l’amusait et le stimulait, il s’endormit d’un coup et ne s’éveilla qu’à l’annonce de l’atterrissage. Il avait dormi certes, mais surtout rêvé…
Quelques dizaines d’années plus tard, une petite aventure allait raviver ce rêve et ces souvenirs… En voyage d’amour avec une jeune et frétillante critique d’art à Étretat, après avoir visité la chambre d’hôtel dans ses recoins les plus voluptueux, ils décidèrent d’aller profiter des derniers rayons de soleil sur la plage de galets, à mi-chemin entre « l’aiguille creuse » et « l’éléphant », les deux cartes postales encadrant la ville, en dégustant un sandwichito especial, concocté par le cuisinier de l’hôtel sur les indications précises et exigeantes de l’artiste. Ils en étaient là, baguenaudant et riant de bon cœur en savourant d’avance leur appétissant goûter quand une énorme mouette ou, selon certains témoins, un goéland géant ou, selon d’autres encore, un oiseau de mer commun, les attaqua en surprise, les encerclant de ses ailes et hurlant de son cri horrible. Son attitude ne tolérant aucune réplique ou protestation, il déroba d’un coup de bec décidé, leur délicieux sandwich avant même qu’ils en aient picoré la première miette et le dévora en quelques secondes devant leurs yeux ébahis. Comme à son habitude, le peintre partit d’un rire tonitruant, rire qui avait déjà dans le passé déclenché nombre d’accouchements, crises cardiaques ou d’épilepsie, guérisons spontanées de toutes sortes de maladies et crises d’hilarité générale. En l’occurrence, il provoqua la fuite et le retour vers la capitale de la jeune critique d’art, délurée en amour et ambitieuse en art, mais peu encline au rire, particulièrement sous une forme aussi spectaculaire. Le peintre rejoignit alors seul sa chambre et s’endormit ravi de sa journée et, finalement, pas si malheureux de son inattendue solitude.
Et il rêva… Il rêva du carnet. Celui-ci revenait à son esprit pour la première fois depuis toutes ces années. La scène décrite lui rappelait son aventure du jour et aussi une scène similaire de son adolescence. Au bord d’un lac de montagne, avec une jeune étudiante à peine plus âgée que lui avec qui il avait projeté un bain de minuit et plus si affinités, un condor royal les avait attaqués, sans doute pour protéger son territoire. Ils avaient fui en riant, bien qu’un peu inquiets, et la fille lui avait ensuite, avant de succomber à son charme et combler tous ses désirs, conté l’histoire d’une princesse inca qu’un condor, certainement impérial, avait enlevée à sa famille pour la porter dans les airs jusqu’à l’objet de son amour secret : un très beau et doux et fier et brave et sensible jeune homme qu’elle ne connaissait pas, mais dont elle rêvait chaque nuit en une fièvre prémonitoire et avec qui elle partagea une vie entière de bonheur et d’amour. Il avait raconté cette anecdote à un ami historien et poète mexicain, spécialiste des cultures précolombiennes. L’ami appréciait l’idée et envisageait de lancer des recherches sur ce mythe inconnu et surprenant. En remerciement de ces délicieux moments à venir de quêtes, enquêtes et requêtes dans de ténébreuses et silencieuses bibliothèques, il lui conta l’histoire, probablement apocryphe et totalement fausse, mais absolument ébouriffante du jour où Tezcatlipoca, le Miroir Fumant, seigneur du ciel nocturne, avait voulu faire rôtir « cette volaille mal dégrossie » de Quetzalcoatl, le Serpent à Plumes. Le barbecue s’annonçait copieux et raffiné, pourtant l’affaire fit long feu, car la douce mais féroce maîtresse de Quetzalcoatl, la panthère aux cinq yeux, réussit à détourner l’attention de l’ignoble et ténébreux traître pour permettre à son oiseau serpent chéri, non seulement d’échapper au sinistre projet, mais aussi de mettre en fuite et punir le coupable.
Un buveur installé au coin du comptoir, qui n’avait pas perdu une miette de leurs échanges et imaginait se faire rincer à l’œil, les interpella alors :
– Et Œdipe alors, vous savez pas comment ça s’est terminé ?
Vous qui aimez les histoires bizarres, ça devrait vous plaire…
Aveugle, qu’il était, l’Œdipe ! Les yeux crevés par le chagrin
d’avoir baisé sa mère et trucidé son père… Crevés au couteau
les yeux, à l’ancienne, sans chichi ni retour… Et il est parti sur
les routes… Aveugle, d’accord… mais ça n’empêche pas les
désirs… ni les glandes… ni les rêves… ni les rencontres… Bref !
Il était tombé amoureux d’une petite, bien roulée et tout, avec
un défaut aux yeux… elle en avait plusieurs ! Ce qui n’a aucune
importance pour un aveugle, et surtout pour lui qui n’était
plus jaloux depuis son histoire avec ses parents… Elle avait un
problème aux yeux donc, qu’elle avait nombreux, comme dit
plus haut, mais elle avait aussi une très jolie voix, ce qui est très
très important pour tout le monde, mais encore plus pour un
aveugle, et comme il était pas trop mal et qu’il avait de quoi,
tant au fond du slip qu’au fond du portefeuille (Labdacide un
jour, Labdacide toujours ! comme on dit…) elle marchait dans
la combine et tout se passait aux petits poils… Jusqu’à ce que
la donzelle attire l’attention, probablement par un de ces chants
érotiques qu’elle aimait tant offrir à la lune et à son amant,
qu’elle attire, donc, l’attention de la fameuse créature qu’on
appelle le Sphinx, qui tomba amoureux d’elle illico et voulut
l’arracher des bras du pauvre Œdipe en lui crevant les yeux avec
son méchant bec. Mais comme notre ami Œdipe avait déjà les
paupières vides, il ne sentit rien et réussit à repousser le monstre
au loin en agitant son chapeau pointu… Victoire ? Et bien…
Manque de chance, ne voyant rien, rapport à sa cécité, il ne vit
pas que le bord de la terrasse où ils étaient en train de se rouler
des pelles avec sa petite était en travaux et il bascula dans le
vide en criant et s’écrasa la tronche contre un rocher quelques
dizaines de mètres plus bas. Pas de bol… Fin de l’histoire…
Ils lui offrirent un verre, et même deux, suscitant ainsi un précédent fâcheux, ou heureux, chacun pourra se faire sa propre opinion. En effet, un autre client s’approcha avec une nouvelle histoire, puis un autre et un autre encore, tous aussi assoiffés que bavards et prompts à s’abreuver tant de sornettes que de boissons fraîches. On eut ainsi l’histoire de l’Archange au long nez et de l’annonce faite à la voisine de Marie en présence de son amant ; d’Ulysse au bar des Sirènes qui, comme chacun sait, étaient des oiseaux à corps de femme et non des phoques à tête d’ange ou des starlettes en queue-de-poisson ; de l’oiseau-mouche, du raton-laveur et de la corneille-à-trois-yeux ; du peintre en bâtiment et de la facture du gaz ; de Noé, du vampire et de la femme du facteur ; du pilote du Concorde, de son épouse et du clown perdu ; de l’oiseau de feu, du chef d’orchestre fou et du petit rat à lunettes ; du dragon, de l’homme-dogue et de la voyante… Ils y passèrent la nuit et finirent tous au bar de l’aéroport pour accompagner le peintre qui partait vers quelques nouvelles aventures. Il s’endormit dès avant le décollage et les hôtesses eurent toutes les peines du monde à l’arracher aux étranges rêves dans lesquels il était plongé et où toutes ces histoires se mélangeaient.
Au réveil, quelques dizaines d’années plus tard, tout lui remonta en même temps à la calebasse, il éclata de rire et se mit au travail… Il commença par peindre son tableau tout en jaune. Satisfait de cette première étape, il se rendormit et peignit une foule d’autres œuvres. Entre chacune d’elles, il revenait méditer devant le tableau jaune et se rendormait quelques heures, rêvant à l’envers chaque élément emmagasiné dans la gibecière profonde de ses rêves et souvenirs… Et à chaque réveil, il éclatait de rire et prenait une toile vierge et tout recommençait…
Un matin après avoir dormi et rêvé tout son saoul, il revint méditer et découvrit que la couche de jaune qu’il avait si méticuleusement appliquée avait presque entièrement disparu, découvrant une scène issue de tous ces rêves, mythes, racontars, rencontres, anecdotes, beuveries, mensonges, fous rires, séductions, trahisons, fables, fariboles et frivolités joyeuses.
Sous le jaune, le tableau s’était peint tout seul.
Roberto MATTA
Sans Titre, 1990 ca.
Acrylique et encre sur toile
141 x 136 cm
Se retrouvant soudain au milieu de mon rêve,
Alice, de bleu vêtue, était un peu perdue.
« Il fait bien ordinaire, par ici !
Pas de tasse qui vole, point de lapin pressé ? »
Au pub Eagle and Child, aux côtés de Tolkien, il y a C. S. Lewis.
Au fond de la taverne, un lord à grande moustache
fait surgir un chapeau, où il est indiqué :
Poésie magnétique.
Derrière un rideau rouge, en velours très épais,
Sur un sol en damier, de bougeoirs éclairés,
Un homme de petite taille, le visage enserré
dans une bulle de savon, crie fort dans le haut-parleur :
« Genou à terre, ce n’est pas toi qui décides ! »
Alice devient poussière.
Sur le damier mouvant, le roi est dépravé et la reine est bien lâche.
Le cavalier chevauche une tour devenue folle.
Mon âme veut fuir, là où la vie s’arrête.
Où le silence se fait, où rien ne peut blesser.
Retrouver le trou noir,
l’infinie protection de la dissociation.
Dans la bulle de savon, l’homme change de visage.
Les damiers dansent, le rideau flotte.
« Genou à terre ! Genou à terre, dit-on ! Tu vas lâcher, allons ! »
Je veux juste en finir.
Au-dessous du nombril,
les douleurs acharnées d’une enfance abusée.
Et au bout de mes doigts, des torrents d’arc-en-ciel.
Les nénuphars sont-ils plus rouges au pays des merveilles ?
Mon corps crie, de morsures vermillon.
Dans la bulle de savon, les visages, désormais,
sont devenus milliers.
« Tête basse, genou à terre, ce n’est pas toi qui décides ! »
Ce n’est pas toi qui décides…
Poésie magnétique.
Soudain, Alice est là, me caresse la tête.
« Respire, laisse-toi tomber.
Laisse-toi tomber tout bas,
au-delà de la glace,
là où volent les tasses, et courent les lapins. »
Le gel enfin se brise.
Mon corps comme une éponge plonge sous l’eau glacée.
Je la croyais mordante, elle me prend dans ses bras.
Douce.
L’océan en dessous n’est pas toujours hostile.
Glace d’eau. Glace à l’eau. Saveurs de l’arc-en-ciel.
Je commence à pleurer.
« Laisse jaillir, goûte, perçois, ressens. »
Fendille le réel de parcelles de beauté.
Toute histoire est un rêve sur un damier brûlant.
Au pub Eagle and Child, Tolkien et Lewis ont terminé leurs bières.
Les nénuphars sont-ils plus verts en-deçà des paupières ?
La bulle a explosé, le genou est à terre.
Alice peut s’envoler.
Le lapin dans ma tasse virevolte pressé.
Roberto MATTA
Glace d’eau, 1990 ca.
Acrylique et encre sur toile
123 x 163 cm
Signé en bas à droite
Titré « Glace d’eau » au dos
Roberto MATTA
LE SIGNE DU SINGE, 1990 ca.
Acrylique et encre sur toile
159 x 211 cm
Signé en bas à droite
Titré « Le Signe du singe » au dos
Dans le rêve qui voulait m’embrasser
Le matin même d’une haute tige sur le pont
Sur le pont on a pu parler farouchement de
mes amis
Les yeux toujours plus brillants
Nous avons surpris l’ennemie fidèle à ses
méthodes d’obscurcissement à sa toute
puissante diffusion de météores
contre toute attente
À la faveur de plages nocturnes
Structure étroite traction de ce rocher subtil
Cette évidence de frustration concentre les
fenêtres à jamais éteintes
Une superbe nouvelle génération avait là
bien des mains
Je n’oublierai jamais la fierté irréductible de
la chance dérisoire
Ceux qui n’ont pas pu réintégrer leurs
boutades à cent hameçons pour nous
ramener sur Terre dans les coulisses
de cette guerre, il semble que cette
nécessité en péril cadre les plus parfaites
récentes conditions de la plupart des
grands égoïstes des périodes d’adorables
frondaisons.
Ce drame qui baigne au petit matin
le signal de la contemplation s’est
rendu maître dans son frémissement
bouleversant.
Rien de m’empêchera de persister l’essence
toujours inquiète et hostile
Le bloc de par sa structure à jamais
jaillissante
Tes yeux magiques comme l’hiver passé
Et tes lèvres avec les mots tourbillons
C’est par leurs seuls ressorts que la
confiance reviendra
Obstacle de passage demeure sensible
La qualité « présence » commande le navire
admirable
Il semble pourtant, très différemment
attester des erreurs initiales de l’univers.
Par exemple : il se targue de ses origines.
Le plus grand nombre que nous
connaissons entreprend de meubler les
besoins expurgés
Le plus souvent de cette partialité,
incorrigiblement scolaire.
« Cet état de grâce ne pourrait être de
passions »
« Je ne vois pas pourquoi »
Son frère et son fiancé sont ressources de
félinité dans cet instant
Qui rendra le sceptre sensible ?
Je chois pour l’opposer à l’autre prisme
À leur odeur spéciale qui donne la nuit
On ne fait surgir que des figures de larves
aux pires envies
Des atroces transformations et c’est une
cohue parmi les bulles de musique.
Dans une telle nuit
En proie à la plus justifiable des rigueurs
C’étaient les idées épargnées
Cette gitane voulait m’embrasser
Nous avions pourtant fait le tour d’un baril
jaune
Capté par l’aspect qu’offrait l’abrupte
Parfois une lettre où l’on découvre les
anfractuosités d’une ligne souple me
fascinait. L’approche frôlante qui évite
les petites filles tandis que devant nous,
dans leur abri se distingue, par essence,
l’isolement en marge de l’histoire.
D’un coup d’oiseau j’ai eu le temps
d’admirer son œil double
Non seulement la broderie à serrures qu’un
de nos compagnons de route s’engouffre
toujours davantage
Le temps d’un éclair
Le cœur ruisselant ces grandes traînées, si
lointaines
Un début
Un angle de nos jours
Envisageable sera le désir d’un autre ordre
L’évocation flamboyante quand je m’en est
venu
Je sais, mon cœur retrouverait ces
innombrables déchirements
Il s’agit de faire à la sensibilité
Tout à la fois un certain goût de la liberté et
en étrenne du jour
L’étoile angélique de son rêve ; en fin de
compte une main de femme
Sans la moindre hésitation
Dans la jungle physique et mentale
L’amour dont je parle peut paraître osé
La journée sera tes yeux troubles
La vie n’est que partiellement ravie dans
ces fleurs toujours nouvelles
Et aussi toujours subjuguée par la porte où
se croisent des queues de trilobites
Les réserves même ont appris ses déboires
À lui faire prendre la faconde et
l’optimisme de ses grands nombres quoi
qu’il arrive
Creuses, innombrables et trop sévères de sa
pleine morale
Il conviendrait alors de suivre la routine
L’éducation actuelle est défectueuse
Elle commence par abuser de la confiance
de l’enfant
Elle empêche l’enfant de se faire une
opinion par lui-même
J’y insiste
On ne peut pas non plus frapper volontiers
tout cas irrationnel
Leur trame est l’inconscient à très bref
humanisme
Au large du mieux-être collectif, la femme
s’est trouvée triomphalement.
La géométrie du temps, à certaines heures
de brouillard, à l’intérieur de Notre-Dame.
La Rosace se retourne instantanément sous
la griffe d’une belle arabe.
Se propage la grande malédiction dans
l’amour humain : cette grande Babylone lui
fait exactement l’amour et la misère pour
naître dans le chant du troubadour.
Chargé de pierre de lune et de boue, par
trois fois, par vagues.
Des coupes du plus beau givre viennent
imposer ses palmes mentales.
Oui c’est toujours par deux inflexions
irrésistibles d’exalter par de larges mesures
la bave du rat mangeur de livres.
Ayant l’outrecuidance de cette
intransigeance masculine, plus ou moins
honteuse de déchoir ses instances à travers
l’anneau du serpent.
Par la vie panique, j’invoque cette époque
sauvage.
Il faut bien le dire
Il tirera de sa dure expérience : une idée.
Il est admissible et impérieusement
nécessaire de pivoter sur son axe.
Ce murmure est aussi indispensable.
La graine s’ouvre à son ample respiration.
L’énergie en ses couleurs exaltées.
La vie poétique des choses, constamment
avec l’autre, exposée et fragile, survient à
l’improviste…
Le plus admirable de vos artifices n’estil
pas d’exiger l’impardonnable perte de
contact ?
Et dans ce cœur qui ne rien moins que le
sang
Peu à peu pris dans ses courants,
l’influence de la cabale, la nécessaire
urgence d’être ici.
Toute l’expérience humaine démontre sa
ruine immédiate
C’est pourquoi la progression continuelle
est la seule manière qu’il faut faire cesser.
L’Étoile m’explique pourquoi elle est faite
d’amour.
L’ange Liberté, née d’une plume échappée
à Lucifer pénètre dans son front et on voit
encore l’image du cœur humain.
Angélique reprit tout de même le chemin du port. Les pêcheurs venaient juste de débarquer, les cales pleines de poissons luisants, elle entendait le claquement du bois des caisses qu’ils commençaient à disposer, à la lumière de la lune, sur le granit du quai. C’était sa sœur Nana qui faisait le chemin quotidiennement, mais elle était tombée malade il y a 3 jours, et la fièvre ne la quittait pas. Habituellement, Angélique adorait ce moment de la journée. Pour la promesse de la levée du soleil, pour le froid qui piquait les joues, pour les odeurs du large, pour cette vie qui saisissait le petit port si calme le reste du temps. Pour Merlin, aussi, s’avouait-elle. Le fils Rozen faisait partie de l’équipage d’un des plus gros chalutiers. Angélique souvent se retenait de courir sur les derniers mètres la séparant du marché qui s’improvisait sur les quais. Mais ce matin, c’était différent, elle était préoccupée.
Un homme avait arrêté Angélique, quelques centaines de mètres plus haut. Il avait surgi de la pénombre encore intense, un sac militaire à l’épaule. Elle avait sursauté. Mademoiselle, avait-il dit, je cherche l’allée Blanche. Pourriez-vous me l’indique Angélique avait répondu par un geste, index tendu vers le bas de la ville. C’est dans cette direction, vous ne pourrez pas vous tromper, c’est la seule où les maisons n’ont pas de fenêtre, avait-elle précisé. J’ai habité ici il y a des années, avait répliqué l’homme. Mais j’ai oublié beaucoup de choses. Merci de votre aide. La grande ombre avait repris son chemin, mais s’était retournée quelques mètres plus loin : Pouvez-vous me dire si le vieux puits existe toujours ? Angélique avait acquiescé dans un souffle, et l’homme avait fini par disparaître.
Elle acheta sept maquereaux, croisa la sœur d’une amie avec laquelle elle échangea quelques politesses, prit le temps de regarder la ligne d’horizon – rose à cette heure. Elle s’apprêtait à remonter à la maison, quand elle sentit une main sur son épaule. Elle sursauta, c’était Merlin Rozen. Bonjour Ange, je t’ai vue arriver par le sentier, on te voit de loin. Tu es la seule à porter une robe claire, tu le sais ? Je suis content que tu sois là ce matin. J’espère que Nana va bien, mais quand c’est toi c’est différent. Tu ne m’as pas vu ? Tu as acheté les maquereaux à Portier, j’ai remarqué. Je suis content quand on revient à terre, et surtout s’il y a ta robe blanche en haut du sentier. Merlin Rozen était le plus bavard des pêcheurs taiseux. Et ça plaisait bien à Angélique. Elle le prit par le bras, et ils s’engagèrent dans la ville.
– J’ai vu l’amiral Greco, fit Angélique.
Merlin s’arrêta net. Elle reprit la marche :
– Je suis sûre que c’est lui, il m’a demandé si le puits existait
toujours.
– Greco est mort en prison, dit Merlin. Mon père m’en a parlé.
– Il est revenu, je l’ai reconnu.
– Nous étions si petits quand c’est arrivé. Comment peux-tu
te souvenir ?
– C’était Greco, je le sais.
– Où allons-nous ?
Angélique menait Merlin à travers les rues, d’un bon pas. Ils tournaient le dos à l’océan. Le froid se faisait moins vif, les gens
ouvraient leurs volets, la ville sortait de sa nuit. Rapidement, ils se retrouvèrent allée Blanche, au bout de laquelle, juste avant la lande, la ville s’arrête. Et où se trouve l’ancien puits, orné d’une margelle en ardoise, surmontée d’un portique.
– Je voulais revoir le puits, dit Angélique. J’avais tout oublié.
Quand Greco a surgi, ça m’a glacée, et ça a tout fait remonter.
– Seul l’océan engloutit. Sur la terre ferme, c’est différent.
Viens, ne restons pas là, répondit Merlin. Ça ne sert à rien.
– Je veux revoir le puits.
Angélique s’avança seule. Elle s’appuya sur le rebord et plongea
son regard dans le fond du trou.
– C’est là que l’amiral…
– C’est là, oui, il y a longtemps.
Merlin tentait de l’apaiser.
– Je vois des formes, dit Angélique, tremblante. Ça bouge au
fond !, s’écria-t-elle.
– Angélique, tu te fais du mal. On ne distingue rien.
– Ce sont eux ! Je veux aller y voir !, fit-elle soudain comme en
transe. Elle enjamba la margelle.
Le fils Rozen saisit alors Angélique de ses bras de pêcheur, et l’éloigna vivement du puits, si bien qu’ils tombèrent l’un et l’autre sur les pavés. Angélique fut étourdie par la chute. Merlin prit soin d’elle, l’assit sur un banc voisin. Elle mit quelques minutes à
reprendre ses esprits.
Dans l’ombre, un homme avait suivi la scène. Il s’avança. Puis rebroussa chemin. Ni Merlin ni Angélique ne virent cette grande silhouette qui, un sac militaire à l’épaule, s’éloignait finalement sur la lande à grandes enjambées.
Roberto MATTA
L’ONDA DEL FONDO, 1990 ca.
Acrylique et encre sur toile
210 x 288 cm
Signé en bas à gauche
Titré « L’onda del fondo » au dos
Roberto MATTA
LA MATERIA DELLA LUCE , 1990 ca.
Acrylique et encre sur toile
208 x 300 cm
Titré « La Materia della luce » au dos
L’homme est lancé. Par qui ? Vers qui ?
Dans l’invisible. L’arc ténébreux siffle
dans l’air. Victor Hugo
Il était une fois, un paysage hypnotique, tectonique. Un labyrinthe cosmique hallucinant. Un espace-temps en lévitation, traversé de flux lumineux. Et il y a X, informel, invisible, voltigeant au centre de vents polaires, après avoir détruit volontairement son vaisseau. Il regarde avec curiosité des scènes inconnues, insoupçonnées, qu’il trouve délirantes. Non encore nommées, toutes ces choses n’ont pas encore de réalité pour lui. Est-ce la vision d’une usine astrale ou de mondes parallèles qui lui apparaît ? Il s’est échappé d’une galaxie lointaine dont il redoutait le dogmatisme, l’orthodoxie et l’esclavagisme. Il lui fallait trouver un autre « quelque part ».
D’abord, il sent le ciel se noyer dans une solitude perlée, parsemé de brumes nocturnes et vaporeuses, zébrées de vieux rose, et le grand vent hululer. Il se demande si ce sont des nuages maléfiques, effilochés de stalactites et parsemés de flammes rubis ou de simples mirages embrasés de lumières meurtries. Mais partout, des sons monocordes enflent.
L’espace est aussi envahi de créatures étranges, anthropomorphes à ses yeux. Mais ce sont des bras sans corps, des ailes, des tentacules, des balanciers d’un pendule des heures perdues, des épouvantails tristes… Il ne sait. Lui qui ne connaît que le vocabulaire astrophysique et froid.
Il hésite entre une végétation animiste ornée de dentelles luminescentes, des cataractes incendiées ou des atomes cristallins composés au hasard.
Au nord-ouest, il survole une forme étrange, un quasar, un masque d’écailles en chute libre, un cerf-volant lyrique… Comment
la décrire ?
À l’ouest, il découvre le monde chaotique de l’ogre, un géant hirsute prêt à tout dévorer, le visage éclaté, recouvert d’une tache d’encre étoilée de larmes. Nul ne sait de quoi il se repaît. Une longue plainte se fait entendre ; il a faim et ne trouve plus de quoi remplir sa panse. Il semble perdu dans un monde désert et silencieux. Seul l’écho de sa mélancolie s’élève en spirales devant la flamme défaillante de son âtre. Autour de lui, la terre est désaxée, peut-être le résultat d’une tribulation cosmique ou d’un cataclysme, dans une étrange lumière d’aquarium. Ici le monde semble assourdissant et sans perspective, mais aussi fluide pour briser l’aube du silence.
À l’est, une sorcière aveugle, chimère isolée dans son antre, cachée derrière un énorme chaudron bouillant et éruptif, en équilibre instable sur des flammes pourpres, d’où sort ses poisons maléfiques et ses philtres magiques. Elle rode. Avec l’eau de lune, elle éloigne les enfants pour affamer l’ogre, le détourner de ses vices de grandeur, le guérir de sa douleur d’exil. Mais la « savantasse » rebelle œuvre aussi pour lui faire découvrir la grande écriture chiffrée de la harpe éolienne, afin qu’il observe les cristaux ou le ciel étoilé, enfin de jouir de l’univers en explorant ses rêves. Autour d’elle, le ciel nocturne est gonflé de nuages orageux recrachant des éclairs stridents, de plumes immatérielles et cellulaires. Le sol est fendu sur le vide fumant ; c’est un puits qui rend visible la marée, le centre d’une caverne minérale et glaciale.
À l’extrême sud, trône un soleil gris en suspension, blême, pétrifié, énorme, dévoré de ciel, froid et glacial comme une pierre de songe, un cercle désincarné sur le rebord du crépuscule. Peut-être l’éclipse mortelle de l’astre avec des rayons acérés.
X qui ne connaît que le silence cosmique est étonné par le déferlement de sons qui le submerge. Il s’affole. C’est d’abord un fredonnement, une farandole de hiéroglyphes sonores, une cacophonie métallique frôlée de soupirs, un lacis sonore mélodieux, puis les vagues d’un chant discontinu, des vibrations palpitantes, une musique rythmée et syncopée. Il ne sait pas encore distinguer les mots ou les notes, les phrases ou les chants ? C’est encore une litanie incantatoire, un entrelacs d’ultrasons puis une arabesque d’infrasons. D’un coup, la sorcière fredonne l’air des points cardinaux ; l’ogre entonne un chant d’arc-en-ciel… Une amorce de son et de poésie inédite s’ouvre à lui qu’il découvre avec joie, un cri de l’aube qui l’incite à tout larguer.
L’explorateur venu de l’espace, celui qu’on ne voit pas, attire sans le désirer par télépathie une autre entité. Il est immédiatement séduit par les signes qui chantent le monde sur un continent de nomades amoureux de la terre. Il convoque sans le vouloir un monde ancien, mythique et sacré. Une créature totémique.
Dans un temps plus lointain, encore en désordre, se laisse aussi deviner un paysage biomorphique et polyphonique habité par le python arc-en-ciel, un ancêtre aborigène, un être surnaturel, descendu de la voie lactée pour faire naître au long de ses pérégrinations les monts, les lacs et les rivières sur une terre aride et plate, pour modeler le paysage, c’est le gardien de la pluie et des eaux qui réside dans les puits ; à ses côtés, un boomerang (baragan) lancé dans l’air, inventé les premiers jours de la création, quand un bâton s’est courbé en soulevant le ciel ce qui permit aux êtres rampant de se lever et aux arbres de croître pour dévorer le ciel, avant de devenir instrument de chasse et de musique. Un organe du vent. De ce serpent ou dragon, jaillit ensuite un homme-éclair qui ensemence la terre des animaux et des plantes… Au temps du rêve, cette cosmogonie onirique, il faut nommer les choses ou les êtres, pour amener le monde à l’existence. Ainsi se forme une suite de signes ou de lignes qui sont tracés à travers le ciel et la terre, des itinéraires chantés et dessinés qui constituent alors les « pistes des rêves », un réseau de sentiers, de voies de communication, une carte chantée, une partition faite de lois et de règles dans le corridor du savoir. Le rêve en action, la vision est à l’origine de tout mais continue éternellement…
X prend ainsi ses marques sur la terre entre sons et signes, dans l’animisme dont il aime les histoires, dans le ciel ensemencé de pistes cristallines. Il danse, gonflé de musique, comme un atome lumineux, un grain de pollen ailé à la dérive, une luciole éclaboussée de rosée avant de se métamorphoser en étoile filante. Un astre errant, migrateur, une étoile apatride, en exil, un satellite en vol libre et vibrant au grand galop… toujours au plus loin du soleil de sa comète, à la recherche de nouvelles pistes sidérales afin de deviner les secrets de la voix.
Il se mit à explorer en profondeur l’en-dedans et l’en-dehors de cet espace vertigineux, à sonder le cœur des hommes, les morsures de leur cœur, leurs cris, à naviguer dans la dilatation de la pensée pour tenter de goûter ce nouveau monde et le réinventer en prenant le large, et surtout, grâce à la découverte de la peinture et de la musique, habitées de métamorphoses, les ravissements qu’elles lui inspirent et qui étendent le champ du visible… Ainsi découvrit-il en même temps l’art et la liberté, une errance sans retour.
La terre est creuse, comme le bonheur.
C’est en creux que l’on oise le mieux.
Pas comme l’oiseau mais comme l’oisif.
Avez-vous lu la lettre de l’errant ?
Il est donc question d’une horreur boréale
À ce moment perle où je vous parle
Je ne suis plus
La maison était au lieu-dit la fontaine de l’abîme.
J’aime bien la nuit, après avoir dormi
Comme un grand jour
Des nuages tendus par des fils indignes
Et des mères tordues
Ma maman en regardant son album de famille
Oui, mon papa était un petit noir
La maman de la maman de la maman de la maman de
la maman de maman était marrane.
Elles le sont toutes et moi aussi
Car l’homme est tout flamme s’il n’active pas son côté volcan.
Et votre papa aussi
Ça ne veut pas dire que c’est terminé, au contraire.
Et où trouver la lave ?
Le sang parle mais on peut faire sans.
Et c’est en ce sens qui constituera l’essentiel avec
Le magma de la surconscience et la fabrique des manques.
Il y a le moi et le sur-moi et le sous-moi, comme un sous-bois,
est animé de toute une faune. À la fois animal, végétal et minéral
il est question avant tout d’énergie.
Rien n’est inerte.
L’inconscient, comme le supraconscient, agit en backoffice.
Au service de qui ?
Ou plutôt de quoi ?
D’un moteur qui procède par agencements et c’est là qu’il FAUT
mettre en place des déplacements manutants.
Oui la terre est creuse et nous sommes ses étoiles intérieures.
C’est en nos relations que nous rendons la chose possible.
Il fait froid car je n’ai pas mis la charrue céleste à la bonne place.
Nous sommes avant tout passages, et surtout pas passables ou
banals. Il faut ouvrir les canaux.
À la maison il y en avait foison.
La foison d’or est la clef du temps.
Roberto MATTA
SANS TITRE, 1999
Acrylique et encre sur toile
239 x 313 cm
Daté « 1999 » au dos
Alors qu’il regardait Güllen, son patient, les yeux rivés au sol, le docteur Wu se demandait comment il allait gérer ce cas. Gérer, c’était bien le mot : employé au pôle santé de l’entreprise Valorys, le docteur Wu avait pour mission de faire en sorte que chaque employé soit bien opérationnel et fasse fonctionner le plus efficacement la machine qui recouvrait la planète de ses produits sans cesse renouvelés. Wu était l’un de ces horlogers discrets qui permettait à la mécanique de tourner encore et toujours. Il ne se posait pas trop de questions, ne s’attardait que sur les symptômes qu’il traitait à l’aide d’une armée de pilules multicolores. Un cycle sans fin ni surprise dont Wu se contentait sans se poser de questions. Pour lui, comme pour les autres employés de Valorys, la vie passait, tout simplement. Enfin, jusqu’à l’arrivée du patient Güllen dans son bureau.
Güllen posait problème à Wu tout comme il posait problème à Valorys. Mais après tout, n’était-ce pas la même chose ? L’homme ne souffrait pas de troubles physiques ni même, et c’était plus déroutant, de troubles psychologiques. Les « coups de mou », les « baisses de régime », toutes ces réactions humaines incontrôlables, Wu ne les connaissait que trop bien. Remettre les employés dans le droit chemin de Valorys, c’était son rôle, rien de plus, rien de moins. Avec le temps et son usure, Wu avait fini par avoir une vision finie de l’Homme, enfin, de l’employé, et tout se réglait à coup de pilules et de verres d’eau. Du moins, c’est ce qu’il croyait.
Güllen avait toujours travaillé pour Valorys, il dirigeait le département prospection du pôle créatif. Et effectivement, mois après mois, année après année, il créait de nouveaux produits qui, à leur tour, créaient au sein de la population de consommateurs de nouveaux besoins et de nouveaux désirs. Valorys était une entité plastique qui ne cessait de s’étendre sur la surface du globe comme du fromage fondu dégoulinant. Güllen faisait la joie de ses chefs qui, eux-mêmes, faisaient la joie de leurs chefs, et ainsi de suite.
Depuis deux jours, Güllen inquiétait ses supérieurs. Il passait son temps à rêvasser à sa table de verre sur laquelle il dessinait du bout des doigts des formes obscures, à regarder l’horizon à travers sa fenêtre de la grande tour de verre Valorys, coincé au 35ème étage. Il n’était ni malheureux, ni agité, ni même angoissé. Pour cela, il y avait les pilules indigo, carmin et ivoire. Non, Güllen semblait simplement ailleurs. Il marmonnait des phrases incohérentes d’où surnageaient les mots vie, ailleurs et vaisseau noir, il gloussait dans sa barbe et attendait que la journée se termine. Les responsables du pôle créatif avaient bien sûr essayé de lui parler ou plutôt de le sonder, mais l’homme se tenait muet devant eux et seuls sortaient de sa bouche les mots vie, ailleurs et vaisseau noir. Güllen posait problème : si l’homme avait été un brillant producteur de concepts à la source même des produits protéiformes de Valorys, s’il avait une force d’entraînement pour ses collègues qui admiraient son aptitude à créer l’envie à partir de rien, son attitude plus qu’étrange, mais surtout incompréhensible, commençait à jeter le trouble au sein du département et les rendements d’innovation journaliers étaient en baisse par rapport à ceux de l’année précédente, une première depuis l’érection du bâtiment, des décennies plus tôt. Les autorités craignaient une peste mentale, un feu de forêt qui finirait
par embraser la tour de verre toute entière. D’où la présence de Güllen chez le docteur Wu.
L’homme n’avait rien de particulier, un consommateur comme un autre. Son visage était même souriant et ses yeux brillaient. Rien à voir avec les employés lessivés qui venaient gober leur pilule aquamarine pour retrouver, pimpants, la route de la tour.
Il regardait au-dehors le soleil couchant inonder le ciel de sa rougeur sanguine. Güllen écouta en silence Wu lui expliquer les raisons de sa présence. Il comprenait le trouble du médecin car lui-même ne se sentait souffrir d’aucun mal particulier.
Surtout, il ne voulait pas le mettre en porte-à-faux vis-à-vis des instances dirigeantes, obsédées qu’elles étaient par l’idée de rendement et d’utilité, que ce soit au pôle santé ou au pôle créatif. Après tout, un pôle est un pôle et il se devait d’être géré comme tel. Cela, Güllen ne le savait que trop bien et, s’il semblait effectivement ailleurs, il ne voulait de mal à personne et sûrement pas au Docteur Wu. D’ailleurs, se demandait-il, qui soignait les médecins déficients ? Existait-il des pôles à l’intérieur des pôles ? Comme ces poupées de bois que collectionnait sa mère et qui le subjuguaient enfant ? Si Güllen savait donner forme au vide et corps au néant en forgeant des idées immédiatement transformables et consommables, il avait plus de mal à se confier et à partager ce que les anciens appelaient sentiment. Mais après 48 h enfermé dans sa tête, depuis la sortie du bar, Güllen se décida à parler au docteur Wu du vaisseau noir.
Deux jours plus tôt, Güllen et son équipe fêtaient les résultats mensuels à la hausse par rapport à ceux de l’année précédente. Le temps chez Valorys n’était qu’une succession de chiffres que l’on comparait les uns aux autres, un éternel présent mis en perspective selon des modèles mathématiques. Güllen avait invité ses collaborateurs dans un bar posé au pied du métro aérien qui desservait Valorys. C’est toujours le même d’ailleurs, comme si ce lieu n’était finalement que le seul dénominateur commun de ces hommes et femmes qui passaient l’essentiel de leur existence collés les uns aux autres dans un cube de verre perché au 35ème étage. La soirée de célébration s’était passée comme toutes les autres : on avait bu, on avait ri, on avait répété jusqu’à plus soif le mantra « + 3% » comme s’il s’agissait d’une prière ou d’un slogan politique, ces mots magiques qui mobilisaient les foules, avant. Chacun se tenait chaud dans le succès de Valorys, car, après tout, qu’était le succès de Valorys si ce n’était d’abord celui de chacun ? Ces soirées rituelles permettaient de faire corps, de se sentir partie prenante d’un grand tout qui vous dépassait et dans lequel vous vous oubliiez. Ce sentiment de vivre une aventure collective plutôt que sa simple vie semblait griser tous les participants à moins que ce ne soit l’effet des boissons alcoolisées que chacun, tel des automates, ingurgitait à un rythme soutenu qui n’avait rien de naturel ou de spontané. À un moment de la soirée, Güllen s’était demandé quelle réalité recouvraient ces chiffres dont tous se gargarisaient. Depuis qu’il travaillait au pôle créatif, ils ne faisaient que croître, n’y avait-il donc pas de limite ? Pas de plafond de verre ? Et si tout cela n’était en réalité qu’une farce ? La réflexion fugace effleura le cerveau de Güllen mais s’évapora aussitôt dans l’éther comme si elle avait été pensée par un autre que lui.
À la fin de la soirée alors que ses collègues s’engouffraient dans le dernier métro, transitant d’un cube à un autre, Güllen décida de marcher. Il avait trop bu, rien de dramatique, rien que ne puisse soigner le lendemain une pilule verdâtre au pôle santé, mais il avait envie de sentir le vent sur son visage et le bitume sous ses pieds. Alors qu’il se rapprochait de son meublé, le regard aimanté par la lune pleine qui projetait une lumière métallique sur la ville, il tomba sur un homme vêtu d’une peau de bête allongé dans un carton. « Écarte-toi un peu de la lune, sinistre idiot » furent les premiers mots de l’homme. Recouvert d’une crasse noire, à moitié nu, sentant la pisse et l’abandon, l’homme riait en se moquant de Güllen, de son costume, de sa petite mallette siglée Valorys, de ses chaussures pointues qui le faisaient ressembler à un pingouin échoué. Le rire fit vite place aux crachats et aux injures. « Honte à toi », « sale robot », « petit caniche sans dents », « mort-vivant maléfique », « sombre merde », « tes parents auraient honte, tes parents auraient honte de toi ». Passablement éméché, Güllen prit les mots du clochard comme une claque. La violence entre consommateurs était de plus en plus rare et il ne savait pas comment il devait réagir. Il décida de s’enfuir en courant alors que résonnaient en lui les dernières phrases du vieux fou. Rentré chez lui, ses oreilles sifflaient et il avait l’impression que son cœur avait migré dans sa tête qui palpitait. Il pensa à ses parents, la première fois depuis tellement longtemps, il pensa à l’accident. Ses oreilles criaient, des ondes hurlantes le traversaient et sa tête lui donnait l’impression de gonfler. À la fenêtre, il aperçut une forme étrange, un vaisseau noir flottait dans les airs. On aurait dit un croissant de métal et il visualisa furtivement les viennoiseries qu’il mangeait enfant le week-end dans le lit de ses parents, tous les trois serrés sous la couette, avant l’accident. Alors que le vaisseau noir approchait, il sentit sa tête exploser.
Quand il revint à la conscience, il était nulle part. Son corps n’était plus qu’une matière molle qui se transformait à souhait. Il devint une pierre enfoncée dans un sol meuble, il ressentit pour la première fois le rien, comme si son cerveau avait été anesthésié. Pas d’idées, ni d’émotions. Il était et c’était tout. Puis, il se mit à grandir, grandir, alors que ses pieds s’enfonçaient dans le sol. Il était la terre, il était le ciel, son être en expansion ne connaissait plus aucune limite. Il se dilatait sans fin. Il se retrouva à flotter dans un liquide poisseux et chaud, en apesanteur. Il n’était plus que matière, les pensées remplacées par des sensations instantanées. Plus de filtre entre l’intérieur et l’extérieur, plus d’écran, de réflexion. Il n’était pas rien, il était tout. Vide et plein. Il n’était plus seul, la multitude vivait en lui. Une énergie solaire irradiait de toutes parts, comme un grain de poussière traversé par un raie de lumière. Il était la vie…
Güllen se réveilla sur le sol du salon, ses oreilles hurlaient toujours et son cerveau faisait penser à du métal en fusion. Il regarda par la fenêtre l’astre solaire entamer sa révolution. Bien sûr, aucun vaisseau noir à l’horizon. Les deux jours qui suivirent, jusqu’à son arrivée chez le docteur Wu, se ressemblèrent : Güllen était comme derrière une vitre sans teint et il regardait l’existence se déployer sous ses yeux. Tout ce qui l’entourait lui paraissait comme ces ombres projetées aux murs lors d’une flambée. Surface et apparence, comme les traces digitales sur son bureau de verre. Les chiffres qu’il avait vénérés n’étaient plus que des symboles parmi tant d’autres, des caches qui masquaient la réalité. Secrètement, Güllen n’attendait qu’une chose, le retour du vaisseau noir dans le ciel.
Le docteur Wu ne savait trop quoi faire de Güllen. C’était le dernier patient de la journée, il sentait la fatigue grandir en lui, son crâne le lançait et le sang pulsait dans ses oreilles. Güllen avait-il besoin d’un suivi psychiatrique ? Avait-il simplement besoin d’une cure de sommeil ? Après tout, ils étaient assez nombreux les employés à devoir descendre momentanément du train en marche de l’entreprise, souffler un court instant avant de repartir au combat comme si rien ne s’était passé. Il opta pour la deuxième solution et prescrivit à Güllen une semaine de repos intensif en lui donnant une quinzaine de pilules violacées. L’employé semblait déçu. Avait-il vraiment cru qu’il allait convaincre le docteur comme ces mystiques qui revenaient d’un trop long séjour dans le désert et pensaient avoir percé le mystère de la vie ? Alors que la céphalée prenait possession de sa boîte crânienne, Wu raccompagna Güllen à la porte. En retournant à son bureau, il vit une ombre oblique se dessiner sur le carré de lumière projeté sur la moquette. Soudain, sa tête explosa…
Letter from Roberto Matta to Gordon Onslow Ford, 1939
Coll. Lucid Art Foundation, Inverness, CA, États-Unis
Letter from Gordon Onslow Ford to Roberto Matta, December 15, 1957
Letter from Gordon Onslow Ford to Roberto Matta, June 18, 1959
Letter from Roberto Matta to Gordon Onslow Ford, 1939
Coll. Lucid Art Foundation, Inverness, CA, États-Unis
Gordon Onslow Ford and Roberto Matta on the boat, S.S. Vallejo, Sausalito, CA, United States, 1956.
Around 1947, Gordon Onslow Ford purchased the former passenger ferryboat Vallejo. After restoration it became a studio for Gordon Onslow Ford and the residence and studio for Jean Varda and remained moored in Sausalito, San Francisco Bay. Later Onslow Ford sold the ferryboat to philosoper and writer Alan Watts. The ferryboat became a vibrant meeting place for many artists and writers.
Fariba Bogzaran
Lucid Art Foundation – © 2024
The first time I met Roberto Matta (Matta) was in September of 1993, in Munich, at the opening exhibition of his longtime friend, Gordon Onslow Ford (Gordon). Gordon had wanted us to meet, as Matta was his most important surrealist artist friend, and from the moment we were introduced, we were conversing about art, metaphysics, and science. Gordon and I had met a few years earlier, had become engaged in regular dialogue, and collaborated on a publication. 1 As a scientist exploring cutting-edge research in Lucid Dreaming 2 and having published on the transcendent experiences in this phenomenon, 3 I recognized both of their quests in arts and consciousness. I was in my early thirties, passionately immersed in dialogue about the frontier in the new science of consciousness with two surrealist artists who had just turned 80.
It was endearing to witness Matta and Gordon’s profound friendship of sixty years, how their time in France had shaped them as artist/philosophers. They strongly sustained their connection and vision throughout their lives. They had first met in 1937, soon after Gordon moved to Paris. Matta was an architect working with Le Corbusier and Gordon was an accomplished landscape painter. Their meeting was serendipitous as their landladies knew each other and arranged a lunch for the two to meet. After lunch, Matta showed Gordon some of his casual drawings and Gordon remarked that they were the most marvelous drawings he had seen in Paris. Apparently, Matta was in disbelief of Gordon’s reaction but to prove it, Gordon commissioned one drawing every month from Matta. As a result, he collected many of Matta’s significant early drawings, including Star Travel, 1939.
Their dialogue and friendship led them to travel in the summer of 1938 to Trévignon, Brittany, the birthplace of their favorite surrealist painter, Yves Tanguy. It was a pivotal moment for both artists, who were in their mid-twenties. As Gordon expressed in a letter to his mother while they were in Brittany:
“Matta and I are going from strength to height… and in spite of the fact that he has lately been in bed with a bad ear, we have both been working on exciting discoveries, and each picture is better than the last. We are studying psychology, biology and morphology and are hoping to be able to appreciate better our subconscious and as we used to say “all that cannot be taught.” I am sure that the path to realization lies not in what you learn from others but in what you find out for yourself.”4
It was in Trévignon that Matta and Gordon experienced significant shifts in the direction of their art. With Gordon’s encouragement, Matta transformed from an architect into a surrealist painter and developed his idea of Psychological Morphology, and Gordon transformed from a landscape painter into one exploring a new territory of spontaneous abstract forms. Matta once told me, “Gordon had to give up his trees to become a surrealist!”
To understand the shift they experienced in Brittany, the influence of Russian philosopher Piotr Demianovitch Ouspenski, who received considerable public attention in the 1930s in England and throughout Europe, cannot be overemphasized. 5 On rainy days, Gordon and Matta immersed themselves in Ouspensky’s magnum opus, Tertium Organum, 6 to which Gordon may have been exposed by his aunt. 7
Ouspensky’s book introduced Gordon and Matta to a completely new perspective, allowing them to connect their art with the concept of the fourth dimension, sparking new discoveries in their artwork and practice. Ouspensky pondered a crucial question: “what do the dimensions of space represent in reality and why are there three of them?” His answer offered an expansive vision of the self: “We bear within ourselves the conditions of our space, and therefore within ourselves we shall find the conditions which will permit us to establish correlations between space and higher space.” 8
Gordon Onslow Ford
3 Trees Move Along, 1938
Oil on Canvas
68 x 91,8 cm – 26 3/4 x 36 1/8 in.
Coll. Lucid Art Foundation, Inverness, CA, États-Unis
Gordon Onslow Ford
Street Scene Paris, 1938
Oil on Canvas
65,1 x 91,4 cm – 25 5/8 x 36 in.
Coll. Lucid Art Foundation, Inverness, CA, États-Unis
Tertium Organum challenged and inspired the young artists, offering them a new direction in art: the possibility of engaging with enigmatic realms of consciousness, and with epistemic uncertainty, 9 or the notion that in not knowing, there is a knowing. Ouspensky referred to the “habit of the positivistic method of searching always for the visible,” enticing readers with the idea that “beyond this visibility there is a whole ‘invisible world’—a world of to us new and incomprehensible forces and relations. The knowledge of the existence of this invisible world: this is the first key to it.” 10 Ouspensky declared that to understand the noumenal world we must search for the hidden meaning in everything.
Undoubtedly, Matta and Gordon listened deeply to this passage in the text: “Science does not sense it and does not recognize it… Now we have a form of knowledge which senses this difference perfectly, knows and understands it. I am speaking of art. The musician, the painter, the sculptor well understand that it is possible to walk differently—and even impossible not to walk differently.” 11 In this radical statement, Ouspensky acknowledged art as epistemology—a way of knowing. He further instructed that the artist “must be a clairvoyant: he must see that which others do not see.” 12 These passages guided both artists for the rest of their lives.
Matta and Gordon also read Pierre Mabille’s La Conscience Lumineuse (1938). Finding Mabille’s theory aligned with their thinking, when they returned to Paris—eager to start an art movement based on their discoveries—they approached Mabille in hopes he would provide the intellectual and narrative voice to communicate their “new subject in art.” “I feel we are on the edge of great discoveries, and I am very excited.” 13 Gordon wrote to his Aunt Gullie upon his return from Trévignon. Mabille, loyal to Breton, dissuaded them from starting a new movement, encouraging them instead to join the Surrealists. 14
After that initial meeting with Matta in Munich in 1993, I visited him in Paris the following month to interview him about his philosophy of art, and we met several more times over the years to engage in dialogue. I met Surrealism by meeting Matta. His passion about his discoveries was electric, and he communicated in several languages, regardless of whether you understood them. His concept of Psychological Morphology was not only in his painting but also animated his body, language and voice. He came alive when riding in that surreal landscape of consciousness between waking, dreaming and the transcendent. One of the highlights of meeting Matta was walking with him through his retrospective at La Pedrera in Barcelona. He shared his thoughts of sixty years of creations and philosophy with the disbelief that he actually produced that many pieces! He was being inspired by his own paintings which he had not seen for many years.
Matta visited Gordon in Inverness, California in 1997, during which time he came to our studios and shared stories and walks in the woods. My last visit with Matta was in 1999 at his home in Paris. 15 I interviewed him about his recollections of meeting Gordon and the early days in Paris as surrealists. He made a surprising remark about himself and Gordon in relation to the art world: “We were the misunderstanding of the century!” 16
As time passes, I understand that their visionary work was not seen, and its significant contributions to the philosophy of art practice, and the exploration of consciousness, was often ignored. Their interest in art and science kept their work relevant, and their vision of discovering depths of consciousness through visual art is timeless.
At the time I met Gordon and Matta, I was researching transpersonal experiences in lucid dreaming and their parallel with paintings, focusing on exploring inner realities. I interviewed four painters and a Buddhist monk, Ajahn Amaro, each in different places, posing diverse questions. Through phenomenological research, I extracted the themes which arose out of their answers, and based on those themes, created an “Invisible Dialogue” among these five individuals. Matta and Gordon were the surrealist painters in the study and the other two were the American painters Lee Mullican and John Anderson. 17 For this essay, I returned to the interviews from thirty years ago to create a new rendition of the Invisible Dialogue, between Matta and Gordon.
This dialogue never took place (in the visible realm), but it is their words, extracted from my interviews with them and rendered as a surreal collage, reflecting their philosophical views on their art practices.
Roberto Matta painting in Gordon Onslow Ford’s studio on the S.S. Vallejo boat, Sausalito, CA, USA, 1956
Malitte and Roberto Matta (in front), Gordon Onslow Ford and Jacqueline Johnson (in back) on the S.S. Vallejo boat, Sausalito, CA, USA, 1956
Gordon Onslow Ford painting in his studio on the S.S. Vallejo boat, Sausalito, CA, USA, 1956
GOF: A painter has to live the reality of his paintings. Those are only words. For a painter, an inner-world is made up of spiritual content and a technique to express it. The painter has to embody both aspects. You have to get into the spirit of the world in which you are painting. Matta: If we are not using poetry, we are really repeating things. I like to conceive in a very genetic way.
GOF: Once you have seen into the mystery a little bit and found a way to express it, then you are on your way. It is very hard to talk about. Matta: When the brain works before words, it is like waves, like an embryo before the words—there is something that we don’t know—we should shoot it and get it. That is the role of the art—to express before the words.
GOF: Creation is a result of experience and contemplation. It is only after much painting and contemplation that the way opens to the inner-worlds. “The painter who wants to paint bamboo has to become bamboo”—this also applies to the inner-worlds. The painter of the innerwords is the inner-world.
Matta: I want to surprise myself. It has to be a surprise, or I would be bored—something that comes from inside of me. It is hard to put into words. The mystery is everywhere—I might catch something.
GOF: When you pay full attention to what is happening, something surprising turns up, which is a confirmation about the creative power of the Mind. My paintings are dealing with all these experiences, which we don’t have the equipment to remember fully unless we do something about it like sing or dance or paint, and then the experience is revived or recreated.
Matta: That is quite something [pointing to his painting on the wall]. God knows what it is. But for 80 years it has led me like a horse, led me to some kind of virtual landscape, a landscape of something which has no name.
GOF: Hopefully, an inner-world painting will awaken something in someone who is sympathetic, awaken something that they haven’t thought of or seen before; it is a revelation, and the revelation is passed on.
Matta: We are not grasping things, you see, and this kind of grasping needs a language, which is psychological morphology.
GOF: In the inner-worlds, every object is one with the space around it. It doesn’t end with its own boundary. It has energy which goes beyond it. There is only one creative force in the universe, and the painter has to become a part of it.
Matta: I am not just a painter, I am the white in the egg. I am a mystic. I am divine. I believe in religion that goes beyond words. I am a mis-tick! 18 GOF: It has to do with the spiritual dimension of the painter. Painting an inner-world implies the growth of consciousness, where the painting helps the growth of consciousness and the growth of consciousness helps the painting.
Matta: It is the mystery inside us.
GOF: It comes from the mysterious place that I have called the Great Spaces of the Mind, shared by all. The Void is something. The Void is not a negation, it is the root of all that exists. It is too fast for our senses to catch, and it has possibilities beyond belief.
Matta: They [referring to scientists] don’t know what it is all about. What they tell you is very insufficient.
GOF: You know, we all are dealing with mysteries. So really, the interest is not to explain it away—it is to express it and enjoy it. We really don’t know anything.
Matta: They are the Void, the Unknown.
Notes
1 Gordon Onslow Ford, Insights (Emeryville, Lapis Press, 1991).
2 Lucid Dreaming is an awareness in sleep. I worked with a team of researcher at Stanford Sleep Laboratory exploring the science and phenomenology of this state of consciousness Some of the visual experiences in this phenomenon are akin to the paintings of Matta and Gordon Onslow Ford.
3 Bogzaran, F., Experiencing the Divine in Lucid Dream State (Michigan: UMI., 1990).
4 Letter from Gordon to his mother, Maud E. Woollerton, from Maison de la Douane, Trévignon, August 27, 1938. Gordon Onslow Ford Archive, Lucid Art Foundation, Inverness, California.
5 Ouspensky was both a mathematician and esoteric philosopher. Matta and Gordon also had backgrounds in science and responded to the interdisciplinary approach Ouspensky prescribed.
6 Ouspensky, P.D., Tertium Organum (London: Kegan Paul, Trench Trubner & Co, 1937).
7 A 1938 letter from Gordon to his aunt, known as “Old Cat”, discusses Ouspensky’s text. Gordon Onslow Ford Archive, Lucid Art Foundation, Inverness, California.
8 Ouspensky, Tertium Organum, 79.
9 Epistemic Uncertainty is a mathematical term which I defined philosophically. See Bogzaran, F., and Deslaurier, D., Integral Dreaming (New York: SUNY Press, 2012), 204–06.
10 Ouspensky, Tertium Organum, 166.
11 Ibid., p. 160.
12 Ibid., p. 162.
13 Letter from Onslow Ford to Gladys Woollerton, from 76, rue de Rennes, Paris, November 14, 1938. Gordon Onslow Ford Archive, Lucid Art Foundation, Inverness, CA.
14 « Art and Exploration of Consciousness » in Bogzaran, F. (Editor), Gordon Onslow Ford: A Man on a Green Island, (Inverness: Lucid Art Foundation, 2019).
15 Every time I met Matta, he mentioned his grief about how badly he was treated in New York after the death of Arshile Gorky. Blamed for Gorky’s suicide, Matta felt the real cause was the jealousy of certain New York artists who did not want him around and plotted the scheme to have him return to Europe after WWII. This trauma stayed with him all his life. In Martica Sawin’s book, Surrealism in Exile and the Beginning of the New York School (1997), the influence of European surrealists on Abstract Expressionist in New York is well researched, including how often it was downplayed.
16 For more developed discussion see, “Art and Exploration of Consciousness” in Bogzaran, F. (Editor), Gordon Onslow Ford: A Man on a Green Island, (Inverness: Lucid Art Foundation, 2019).
17 Bogzaran, F., Images of the Lucid Art: A Phenomenological Study of Lucid Dreaming and Modern Painting. (Michigan, UMI., 1996).
18 Matta often played with words. When he used the word Mystic, he started to play with the word and said “mys—tic.” It can also sound like “mis-tic” or “mis-take” or “mis-tick.”
Roberto Matta in Gordon Onslow Ford’s studio, Inverness, CA, USA, 1997
Photo : Fariba Bogzaran
Roberto Matta, Red Hat, Green Hat [Chapeau rouge, chapeau vert], 1956
Extrait d’un carnet de dessins de Roberto Matta.
Matta est représenté avec le chapeau rouge et Gordon Onslow Ford avec le chapeau vert.
Coll. Lucid Art Foundation, Inverness, CA, États-Unis
This publication was designed by Ramuntcho Matta to accompany the exhibition ROBERTO MATTA, MANIFESTE ET VOUS, Le penser surréaliste, une philosophie de s’avoir from March 21 to April 27, 2024 at the Diane de Polignac Gallery, Paris.
Diane de Polignac Gallery warmly thanks Ramuntcho Matta for his trust and his involvement.
The Gallery also thanks the authors for their contributions: Thomas Baumgartner, Fariba Bogzaran, Pablo Cueco, Anaïd Demir, Anne Egger, Réjane d’Espirac, Aurélien Masson and Ramuntcho Matta.
Translation: Lucy Johnston
Graphic design: Christian Demare
Photo credits:
Lucid Art Foundation, Inverness, CA, USA: p. 52, 55, 56, 58, 65, 66, 68, 71, 76-77, C6-C7
Fariba Bogzaran Archive, Inverness, CA, USA: p. 60, 75
Gordon Onslow Ford Archive, Inverness, CA, USA: p. C2-C3
Archives Ramuntcho Matta: p. 7, 53, 54
Reserved rights: p. 2
Galerie Diane de Polignac, Paris: p. C4, 9, 11, 12, 19, 20, 23, 24-25, 26-27, 30, 34-35, 36-37, 38, 44-45, 46, 78, C5, C8, dust jacket
ISBN: 978-2-9584349-6-0
© Diane de Polignac Gallery, Paris, March 2024
Texts are author’s property
Diane de Polignac Gallery
2 bis, rue de Gribeauval, Paris
www.dianedepolignac.com