Certains artistes poussent très loin la compréhension de leur art. Jean Miotte pousse très loin l’expérience de la vie. Il ne veut pas peindre : il doit peindre. La peinture s’impose à lui, afin de vivre.
Il se traverse lui-même à travers l’acte de peindre, en vue d’une vérité qui, telle un mirage, se projette toujours plus loin. C’est ainsi qu’il voyage, en direction d’un point qui l’ouvrirait au mystère de la vie. Et ce voyage qui l’entraîne à l’intérieur de lui-même le pousse également aux quatre points du monde : en Syrie au centre culturel français de Damas où il donne des conférences, au musée d’Alep où il expose ; en Chine où il est le premier artiste occidental à être exposé après la mort de Mao Zedong ; en Allemagne dont sa seconde épouse Dorothée Keeser, grande mécène de son travail, est originaire ; aux États-Unis où fut localisée de 2002 à 2013 sa fondation…
Ce qui peut sembler à première vue une peinture gestuelle, tantôt fulgurante, incisive, tantôt plus frémissante et délicate, est en réalité la trace, ou mieux le témoignage, d’un mouvement continu vers le dedans. Chaque œuvre s’apparente à une étape sur le chemin de cette recherche, laquelle ne se théorise pas mais se vit. Autodidacte, Jean Miotte ne se revendique d’aucune école ni de celle de New York, ni de celle de Paris. Il chemine en solitaire, de rencontre en rencontre. Il rebondit sur les occasions comme d’autres sautent de pierre en pierre pour traverser un ruisseau.
À 19 ans, alors qu’il fait son service militaire, il attrape la tuberculose. On lui décèle une caverne au poumon droit « grosse comme une belle pomme de terre ». Il lui resterait seulement trois mois à vivre. Il sort de l’hôpital et file droit vers la Côte d’Azur, profiter une dernière fois du soleil. Quand il revient à Paris et rend visite à son médecin, la caverne dans son poumon ne fait plus que la taille d’une pièce de dix sous.
– « Que diable avez-vous fait ces temps derniers ? demande le médecin interloqué.
– Rien de plus que de vivre à ma fantaisie » répond Miotte, avant de se lancer dans l’exposition de la folle vie qu’il vient de mener.
Chez Miotte, la vie l’emporte toujours sur la mort. Elle pulse et jaillit sur les toiles chassant l’ombre au profit de la lumière.
Jean Miotte : Voyages extérieurs / Voyage intérieur (extrait)
Camille Laura Villet
Essayiste, docteure en philosophie et psychanalyste anthropologique