Le peintre Bernard Buffet est l’un des plus grands peintres figuratifs d’après-guerre. Génie précoce, il n’a cessé de peindre toute sa vie. Son œuvre colossale embrasse tous les grands thèmes picturaux.
Bernard Buffet est célèbre notamment pour ses représentations d’architecture. Qu’il s’agisse de Paris, de Venise ou de New York, le peintre aime reconstituer des souvenirs de paysages urbains pour nous offrir des vedute modernes. La peinture New York, Daily News building présentée à la galerie en est un parfait exemple.
La peinture architecturale est un genre pictural qui se concentre sur la représentation d’une architecture, vue de l’extérieur ou de l’intérieur. Ce genre se développe à la Renaissance et permet de mettre en valeur les effets de perspective.
Il peut s’agir d’un bâtiment existant ou d’une utopie, comme la célèbre Cité idéale, véritable joyau d’harmonie géométrique. Cette œuvre présente des points communs avec les architectures de Bernard Buffet : une composition imaginée par l’artiste, une absence de personnage et une géométrisation des formes.
Les vedute deviennent très populaires au XVIIIe siècle : ce sont des vues urbaines, peintes ou gravées, permettant de fixer un souvenir, telles les cartes postales de l’époque.
Le tourisme se développe alors, ce qui explique l’intérêt croissant pour ces vues urbaines pittoresques.
Lorsque le peintre Bernard Buffet peint Venise par exemple, il fige sur la toile ou le papier, le souvenir de la ville visitée.Le peintre Bernard Buffet, comme les peintres de vedute, crée des vues d’architecture entre naturalisme et idéalisation.
Au XXᵉ siècle, malgré le bouleversement qu’opère la photographie dans les arts, certains artistes continuent de représenter les architectures, fascinés par la modernité des bâtiments.
Pour d’autres, ce sont des morceaux de prouesse d’exactitude, comme pour les peintres hyperréalistes américains dans les années 1970 par exemple.
Les artistes du XXᵉ siècle sont nombreux à être fascinés par la ville de New York. Dès le début du siècle, cette ville attire les artistes Dada et surréalistes.
L’Armory Show de 1913, grande exposition collective d’art moderne, fait date dans l’histoire de la ville américaine. Cet évènement attire les artistes français, comme Marcel Duchamp et Francis Picabia par exemple.
Après la Seconde Guerre mondiale, New York va peu à peu supplanter Paris comme capitale internationale de l’art. De nouveaux courants artistiques s’y développent alors, comme l’Expressionnisme abstrait. Ville cosmopolite, elle attire les artistes du monde entier.
L’organisation des rues de New York en quadrillage inspire l’artiste Piet Mondrian. La façon dont le peintre néerlandais structure sa toile rappelle d’ailleurs la représentation géométrisée des fenêtres du Daily News building par Bernard Buffet.
Si New York devient très tôt le symbole du rêve américain et de la modernité, les artistes vont néanmoins en souligner les contrastes.
C’est le cas de Charlie Chaplin par exemple, avec son film Un roi à New York. L’ironie sociale newyorkaise est également mise en évidence dans la photographie de Henri Cartier-Bresson intitulée Downtown, New York.
On y voit un homme assis sur un trottoir, le dos courbé. Les buildings qui l’entourent sembles disproportionnés, immenses, menaçants. La verticalité de cette composition peut être comparée à celle du New York, Daily News building de l’artiste Bernard Buffet présentée ici.
L’un des peintres de New York le plus emblématique est sans doute Edward Hopper. Son œuvre captivante est à rapprocher de celle du peintre Bernard Buffet.
En effet, les deux artistes sont célèbres pour leurs représentations de paysages urbains. Bien que leurs vocabulaires plastiques soient très différents, ce sont des peintres de la solitude et de la mélancolie.
Contrairement à Buffet, Hopper représente très souvent des personnages dans ses vues de New York : ses personnages ne présentent aucune émotion, ceux sont les anonymes des grandes villes. Pour Buffet comme pour Hopper, les paysages urbains sont des environnements silencieux.
« Si vous pouviez le dire avec des mots, il n’y aurait aucune raison de le peindre » Edward Hopper
Les premiers gratte-ciels de New York sont construits à la fin des années 1920 et deviennent immédiatement des sujets de prédilection pour les artistes.
La construction de ces géants de métal et de verre est également un processus fascinant pour les peintres et les photographes. Charles Clyde Ebbets par exemple, se fait connaitre grâce à ses photographies de la construction du Rockefeller Center en 1932.
Le Daily News building représenté dans l’œuvre de Bernard Buffet s’inscrit dans cette vague de construction des années 1920-1930.
Ce gratte-ciel de 145 mètres de haut est construit à New York entre 1929 à 1930. Dans un style Art déco, ce building est créé pour y abriter le siège du journal Daily News. Il a été classé monument historique en 1989.
L’artiste peintre Bernard Buffet a une excellente mémoire visuelle et conserve les souvenirs des villes qu’il visite. Il utilise également son importante collection de cartes postales pour construire ses compositions urbaines. En effet, même si Buffet peint des villes et monuments existants, il travaille en atelier et non sur le motif. Il recompose ses vues, modifie les échelles et les perspectives. Sa parfaite maîtrise du dessin lui permet ici d’accentuer l’aspect monumental du building. La géométrisation des fenêtres crée un quadrillage qui rythme la composition.
L’architecture est le véritable sujet du tableau : les rues sont vides et on ne distingue aucun détail à travers les fenêtres. Pour mettre en valeur le building, le peintre choisi de le placer devant un fond neutre. Ce ciel brun permet une vue universelle : ni de jour, ne de nuit. Un halo de lumière encercle simplement le gratte-ciel pour le détacher du fond. Tous les moyens plastiques sont ainsi utilisés pour souligner la monumentalité du sujet.
Dans New York, Daily News building, on remarque un élément intéressant : l’apparition d’une écriture sur l’un des bâtiments. Cette mention « Coca-Cola » est un clin d’œil à la culture populaire américaine, dans la lignée des artistes du Pop Art. Comme ces artistes new-yorkais, Buffet souhaite brouiller les pistes entre art savant et art populaire, et encourager le spectateur à regarder les objets familiers d’une nouvelle manière.
Andy Warhol, l’un des plus célèbres artistes du Pop Art américain, partage certaines convictions avec Bernard Buffet. Les deux artistes jouent notamment sur les contrastes entre le trivial et le luxueux : avec eux, tout objet du quotidien peut être le sujet d’une œuvre d’art. Les deux artistes sont des accumulateurs et des consommateurs. Ils sont les parfaits représentants de notre société moderne qui « s’équilibre sur la consommation et sur sa dénonciation » (Jean Baudrillard).
On comprend ainsi pourquoi Andy Warhol était un admirateur du peintre Bernard Buffet. Il affirme dans un entretien avec le critique d’art Benjamin Buchloh :
« Les Français ont un peintre vraiment très bon. Je veux dire, mon artiste préféré serait ce dernier grand artiste parisien… C’est quoi son nom ? (…) Oui, le dernier peintre célèbre. Buffet. Je ne vois aucune différence entre lui et Giacometti. À un certain moment, les gens ont décidé que c’était commercial. Son travail est bon, sa technique est vraiment bonne, il est aussi bon que l’autre français qui vient de mourir il y a quelques jours, Dubuffet. »
Avec New York, Daily News building le peintre Bernard Buffet nous propose une veduta des temps modernes.
Le peintre virtuose transforme le paysage urbain pour magnifier ce colosse silencieux de métal et de verre.
Mathilde Gubanski
© Mathilde Gubanski / Galerie Diane de Polignac, 2020