INÈS BLUMENCWEIG
Structures dynamiques

Exposition : 18 janvier – 24 février 2024

RENAISSANCE GÉOMÉTRIQUE
Regard sur les reliefs d’Inès Blumencweig de 1967 à 1988

Domitille d’Orgeval, historienne de l’art

On se souvient de l’exposition Elles font l’abstraction présentée au Centre Pompidou, qui mettait en évidence le processus d’invisibilisation des « artistes femmes », en révélant au grand jour celles dont les carrières étaient restées confidentielles ou, dans le meilleur des cas, en réévaluant le rôle qu’elles avaient joué dans l’histoire de l’art. Malheureusement l’événement s’était tenu en 2020, un peu trop tôt pour qu’y figure Inès Blumencweig. Elle y aurait effectivement eu sa place, aux côtés par exemple d’une Carmen Herrera, artiste cubaine redécouverte ses 80 ans passés et qui bénéficia ensuite d’une rétrospective au Whitney Museum de New York avant de s’éteindre à 106 ans.

On souhaite pareille destinée à Inès Blumencweig qui a donc refait son apparition sur la scène artistique en 2022, à la faveur d’une exposition organisée par Jordi Ballart de l’Institute for Studies on Latin American Art (ISLAA), à la Maison de l’Amérique Latine, après plus de quarante ans de silence. Celle de la Galerie Diane de Polignac, qui s’inscrit donc dans la continuité de cette entreprise de réhabilitation, présente un magnifique ensemble d’œuvres des années 1970, réalisées par Inès Blumencweig dix ans après son arrivée en Italie. D’origine argentine, l’artiste, après avoir commencé à Buenos Aires une carrière pleine de promesses (elle bénéficie d’une exposition personnelle au Museo de Arte Moderno de Buenos Aires en 1960), s’installe à Rome avec son époux, le peintre Mario Pucciarelli, grâce à une bourse octroyée à ce dernier (Prix national de peinture Torcuato Di Tella). Dès lors, le couple d’artistes s’installe dans un atelier Via del Babuino, puis dans un autre atelier Via Canova à partir duquel ils créeront dans un climat de grande émulation. Fréquentant les artistes les plus en vue du moment, comme Lucio Fontana, Mimmo Rotella, Carla Accardi, Antonio Sanfilippo, Umberto Mastroianni, Achille Perilli ou bien encore Piero Dorazio et Afro Basaldella, ils se retrouvent au cœur de toutes les avant-gardes, du spatialisme à l’Arte Programmata en passant par l’Arte Povera.

L’œuvre d’Inès Blumencweig propose une synthèse très personnelle de toutes ces tendances, qu’elle connaissait également bien par son activité de journaliste d’art exercée en parallèle pour l’ANSA (Agenzia Nazionale Stampa Associata). Si ses réalisations italiennes des années 1960/70 marquent une volonté de rupture avec ses périodes surréalistes et informelles, la grande qualité de leur exécution témoigne de sa formation initiale à l’École des arts décoratifs Fernando Fader à Buenos Aires, où lui ont été enseignées les méthodes du Bauhaus dans le domaine de l’artisanat, du design mais également les principes de la Gestalt-théorie (1).

(1) Théorie psychologique et philosophique publiée par Christian von Ehrenfels en 1890. Il explique que dans l’acte de perception nous ne faisons pas que juxtaposer une foule de détails, mais nous percevons des formes globales. Dans la deuxième moitié des années 1950, les théories de la Gestalt étaient enseignées à l’École des Beaux Arts de Buenos Aires par les cours de « Psychologie de la forme et de la vision » d’Héctor Cartier.

Ainsi, les reliefs présentés par la Galerie Diane de Polignac, associant bois peints et rubans colorés, témoignent de l’attention portée par Inès Blumencweig aux questions de structure et de perception dans des formats privilégiant le quadrangle et l’hexagone, plus rarement le cercle. Suivant une rigueur et une clarté toute géométrique, ses reliefs intègrent l’espace et la lumière dans l’articulation à la fois robuste et délicate de plans et de rubans : d’une œuvre à l’autre, l’artiste expérimente la symétrie, l’oblique, les perspectives en miroir… La multitude et la complexité des combinaisons envisagées, consignées dans des cahiers de dessins préparatoires, est impressionnante. À cette inventivité qui semble sans limite, s’ajoute une grande maîtrise dans l’art d’associer les couleurs, qu’elle décline
subtilement dans des gammes pastel, de manière plus contrastée lorsqu’elle oppose des tonalités claires et foncées (noir, blanc, bleu, rouge), ou lorsque se côtoient des rouge, rose et violet. Les effets plastiques qui en résultent varient selon la manière dont Inès Blumencweig travaille ses rubans, qu’elle répartit dans l’espace interne de l’œuvre de manière distendue ou resserrée, puis qu’elle oriente à l’oblique et parfois tord en de fascinants faisceaux. Activant ainsi des relations spatiales toujours changeantes, elle produit des vibrations chromatiques qui se renouvellent et s’intensifient en fonction de la lumière et de nos déplacements. La question du point de vue n’est pas à négliger dans l’appréhension des reliefs d’Inès Blumencweig qui utilise des modes d’accrochage très libres, en les suspendant par exemple, afin qu’en prise avec l’espace réel, ils affirment leur présence en tant qu’objet. En cela, son travail s’inscrit dans la lignée des travaux géométriques des Argentins du groupe Madí (Carmelo Arden Quin, Gyula Kosice…) qui, dès la fin des années 1940, invitaient à privilégier la dynamique de l’invention par l’utilisation de structures polygonales, articulées ou manipulables. De même, si Inès Blumencweig ne cherche pas à obtenir dans ses œuvres les effets de troubles et d’instabilité visuels de l’art optico-cinétique, son utilisation du ruban fait écho au traitement que réservait
Alberto Biasi à ses lanières de PVC dans ses reliefs contemporains. On pourra aussi évoquer les Torsions de Walter Leblanc, conçues cependant dans un esprit très radical, avec le recours à une couleur et une structure uniques.

Tout en restant en prise avec les créations de son temps, Inès Blumencweig a œuvré dans le silence de son atelier-laboratoire, privilégiant ainsi la création pure, sans avoir à céder à aucun compromis ni contrainte de production. Indéniablement, ses créations géométriques s’imposent aujourd’hui par la justesse de leur exécution autant que par la complexité savante et la grâce inventive de leurs compositions.

Inès Blumencweig, Rome, 1962. Photo: Alfio di Bella

Inès Blumencweig, Solomon R. Guggenheim Museum, New York, 1960. Courtesy of the Institute for Studies on Latin American Art (ISLAA) Library and Archives

Inès Blumencweig, Solomon R. Guggenheim Museum, New York, 1960. Courtesy of the Institute for Studies on Latin American Art (ISLAA) Library and Archives

LES CARTES POSTALES

Benjamin de Roubaix, neveu de l’artiste

Le 21 novembre 1975, mon père François de Roubaix, compositeur de musique de film, disparaissait tragiquement dans un accident de plongée sous-marine au large des Îles Canaries alors que je n’avais que six mois. Deux ans après, ma mère Rosario Luna, danseuse, épousa Pancho (Herbert) Blumencweig, musicien également, qui m’éleva comme son fils. C’est tout naturellement que sa sœur Inès Blumencweig m’a considéré tout de suite comme son neveu, et je la voyais souvent pendant mon enfance, particulièrement lors de son séjour en France de 1980 à 1987 alors que j’avais entre cinq et douze ans. Elle m’envoyait aussi à chacun de mes anniversaires une lettre ou une carte postale accompagnée d’un petit dessin ou d’un petit découpage depuis Rome, où elle travaillait avec son mari Mario Pucciarelli peintre également.

Je me souviens d’avoir demandé une fois à Pancho : « Pourquoi Inès remplit-elle autant les cartes postales ? » En effet, elle remplissait à tel point les cartes postales qu’elle écrivait, que celles-ci finissaient par ressembler à une page du Talmud. Je n’ai jamais eu vraiment de réponse à cette question, mais aujourd’hui après avoir contemplé une grande partie de son œuvre, je peux dire qu’elle avait peut-être besoin de remplir l’espace, de le créer, de le façonner, comme elle l’a fait toute sa vie avec ses innombrables et magnifiques œuvres, avec grâce, avec intelligence, avec force, avec fierté, avec des couleurs, parfois avec colère devant l’injustice, mais toujours je pense, avec amour.

Pancho Blumencweig jouant de la contrebasse sur les toits de Tel Aviv, 1961. Photo: Inès Blumencweig

Artiste plasticienne, Inès Blumencweig est également poète. Mélomane, elle apprécie tout particulièrement le jazz auquel elle dédit ce poème. La musique est pour elle une source d’inspiration. Ses œuvres-reliefs aux rayures colorées rappellent les partitions de musique. Les rubans tendus sont comme les cordes d’un instrument imaginaire. Prêts à être pincés, ils semblent déjà émettre un son. Vrillés, ils paraissent s’animer. Alignés, ils donnent le rythme. Multicolores, ils évoquent des variations de tons, musicaux ou picturaux. Les œuvres d’Inès Blumencweig sont sonores.

EL JAZZ, 1981
Como se llega a cantar tan encantadoramente el jazz
solo los negros, solo los negros… esos espirituals siguen
en el jazz – Entre bajos-altos, agudos profundos
esa voz gorda, consistente, pastosa, sentida…
Maravilla del feeling – Natural como la belleza
colorada de estas flores silvestres que tengo
ante mi, rojo-rosados, violas-violetas, blancoamarillentas
en medio de un mar de hojas verdes,
pequeñitas, ovaladas, tersas, brillantes, verde oscuros
contra las hojas acontadas de las flores –
Así es tu voz Ella Fitzgerald terciopelo, duro
tenso, suave, fuerte contra este vals que ahora
escucho, como tan distintos, los dos bellos –
Gounod – versus be bop –
INÈS 8/1/81 (Bar Canova)
BLUMENCWEIG RM

LE JAZZ, 1981
Comment arriver à chanter avec tant d’enchantement le jazz
seulement les noirs, seulement les noirs… ces Spirituals continuent
dans le jazz – Entre bas-hauts, aigus profonds
cette voix pleine, consistante, épaisse, sincère…
merveille du feeling – Naturel comme la beauté
colorée de ces fleurs sylvestres que j’ai
devant moi, rouge-rosacées, pourpres-violettes, blancjaunissantes,
au milieu d’une mer de feuilles vertes,
toutes petites, ovales, lisses, brillantes, vert foncées,
contre les feuilles étayées des fleurs –
Ainsi est ta voix Ella Fitzgerald velours, dur
tendu, suave, forte contre cette valse que maintenant
j’écoute, comme si distincts, les deux beaux –
Gounod – versus be bop-
INÈS 8/1/81 (Bar Canova)
BLUMENCWEIG RM

Œuvres exposées

Struttura bianco-nero-azzurra, 1967
Bois peint et rubans en nylon
84,5 x 64,5 x 10 cm
Signé, situé, daté et titré « Inès Blumencweig Roma – 1967 Strutturabianco-nero-azzurra » au dos

Ocre / Giallo, 1971
Bois peint et rubans en nylon
80 x 50 x 3,5 cm
Titré « Ocre/Giallo » au dos
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 1971 » deux fois au dos

Sans titre, 1971 (Détail)

Sans titre, 1971
Bois peint et rubans en nylon
79,5 x 69 x 3,5 cm
Signé et daté « Blumencweig 2/7/1971 » au dos

Struttura Esagonale, 1971
Bois peint et rubans en nylon
100 x 87 x 3 cm
Signé, situé et daté « I. Blumencweig Roma – 1971 » au dos
Titré « Struttura Esagonale » au dos

Sans titre, 1973
Bois peint et rubans en nylon
30,5 x 60 x 15 cm
Situé, signé et daté « Roma Blumencweig – 1973 » sous la base

Sans titre, 1973 (Détail)

Sans titre, 1973
Crayon, crayon de couleur et feutre sur papier
40 x 30 cm
Signé et daté « Blumencweig 1973 » en bas à droite

Sans titre, 1973
Crayon, crayon de couleur et feutre sur papier
39,5 x 30 cm
Signé et daté « Blumencweig 1973 » en bas à droite

Sans titre, 1973
Bois peint et rubans en nylon
81,5 x 81,5 x 8 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma – 1973 » au dos

Sans titre, 1973
Crayon et feutre sur papier
39,5 x 30 cm
Signé et daté « Blumencweig 1973 » en bas à droit

Sans titre, 1973
Bois peint et rubans en nylon
95 x 95 x 6 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma – Aprile 1973 » au dos

Sans titre, 1974
Crayon sur papier
48 x 34 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma Agosto 1974 » en bas à droite

Blue B, 1974
Bois peint
99 x 49,5 x 4 cm
Titré « Blue B » au dos. Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 01.1974 » au dos

Blum, 1975
Bois peint et rubans en nylon
22 x 94 x 3,5 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 10/4/75 » au dos

Sans titre, 1975
Crayon, crayon de couleur et feutre sur papier
23,5 x 34 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 3/1975 » en bas à gauche. Inscrit «Descripcion del objeto» en bas à droite

Sans titre, 1975
Crayon, crayon de couleur et feutre sur papier
46 x 34 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 3/75 » en bas à droite

Struttura cromo dinamica, 1975
Bois peint et rubans en nylon
115 x 40 x 2 cm
Signé, situé, daté et titré « Blumencweig Roma 25/5/75
Struttura cromo dinamica » au dos

Struttura cromo dinamica, 1975
Bois peint et rubans en nylon
118 x 42 x 3 cm
Signé, situé, daté et titré « Blumencweig Roma 10/6/75 Struttura cromo dinamica » au dos

Struttura cromo dinamica, 1975 (Détail)

Sans titre, 1975
Crayon, crayon de couleur et feutre sur papier
46 x 34 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 2/75 » en bas à droite

Sans titre, 1976
Aquarelle et crayon sur papier
45,5 x 31 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 1/12/76 » en bas à droite

Rouge violet, 1976
Bois peint
35 x 28,5 x 2 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 7/12/1976 » au dos
Titré « Rouge Violet » au dos

Struttura Dinamica, 1976
Bois peint
40,5 x 83 x 5 cm
Signé, situé, daté et titré « Blumencweig Roma 2/1976 Struttura Dinamica » au dos

Sans titre, 1977 (Détail)

Sans titre, 1977
Bois peint et rubans en nylon
63 x 20,5 x 2 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma Agosto 1977 » au dos

Sans titre, 1977
Bois peint
40,5 x 38,5 x 2 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 27/12/1977 » au dos

Sans titre, 1977
Bois peint
40 x 40 x 2cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 16/11/1977 » au dos

Sans titre, 1978
Crayon et crayon de couleur sur papier
34 x 48 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 1978 » en bas à gauche

Pieni e vuoti, 1978
Bois peint
38,5 x 45,5 x 4,5 cm
Titré, signé et daté « Pieni e vuoti Blumencweig 1978 » sous la base
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 1978 » sous la base

Sans titre, 1978
Bois peint et rubans en nylon
60 x 60 x 2 cm – 23.6 x 23.6 x 0.8 in.
Signé, situé et daté «Blumencweig Roma 25/5/78» au dos

Sans titre, 1978
Bois peint et rubans en nylon
60 x 60 x 2 cm – 23.6 x 23.6 x 0.8 in.
Signé, situé et daté «Blumencweig Roma 25/5/78» au dos

Sans titre, 1978
Bois peint et rubans en nylon
60 x 60 x 2 cm – 23.6 x 23.6 x 0.8 in.
Signé, situé et daté «Blumencweig Roma 25/5/78» au dos

Sans titre, 1978
Crayon et crayon de couleur sur papier
34 x 48 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 1978 » en bas à gauche

Struttura serie cromatica, 1978
Bois peint et rubans en nylon
100 x 87 x 2 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 13/8/1978 » au dos. Titré «Struttura Serie Cromatica» au dos

Struttura esagonale a 2 duplici triangoli, 1988
Bois peint et rubans en nylon
90,5 x 81,5 x 2,5 cm
Signé, situé et daté « Blumencweig Roma 26/12/88 » au dos
Titré et daté « Struttura esagonale a 2 duplici triangoli, 88 » au dos
Inscrit « d’un disegno faisino 1983 » au dos

Biographie

Inès Blumencweig (1930)

ORIGINES & FORMATION DE LA PEINTRE INÈS BLUMENCWEIG (1930-1948)

Inès Blumencweig est née le 16 juin 1930 à Buenos Aires. Elle porte le nom de son père polonais, Leonardo Blumencweig, arrivé en Argentine vers l’âge de quinze ans. La mère d’Inès, Alberta, a aussi des origines d’Europe de l’Est. Sa famille, les Peltzman, s’installent en Argentine au début du XXe siècle, au moment de la création de la Jewish Colonization Association. Cette association a été créée à Londres par le baron Maurice de Hirsch en 1891, afin de favoriser l’émigration de familles juives européennes vers l’Argentine. Des colonies agricoles sont alors fondées permettant aux Juifs de fuir l’Europe face à la montée de l’antisémitisme. On parle alors de « Gauchos judíos » (1).

En 1943, Inès Blumencweig intègre l’École des arts décoratifs Fernando Fader à Buenos Aires. C’est une école inspirée du Bauhaus où sont enseignés l’artisanat et le design. Inès Blumencweig termine cette formation à 18 ans. Puis, la jeune artiste fréquente les ateliers des peintres surréalistes argentins Nélida Demichelis et Juan Batlle Planas (1911-1966). Les premières œuvres d’Inès Blumencweig sont ainsi empreintes d’influences surréalistes. Dans l’atelier de Juan Batlle Planas, elle rencontre les peintres Roberto Aizenberg (1928-1996), Julio Silva (1930-2020) et Victor Chab (1930) qui deviennent des amis proches.

LES ANNÉES 1950 : ENTRE SURRÉALISME ET NON FIGURATION

Au fil des années 1950, Inès Blumencweig évolue vers la peinture non figurative. Elle se rapproche du mouvement « Informaliste » (Movimiento Informalista), fondé par les artistes argentins Kenneth Kemble (1923-1998), Luis Alberto Wells (1939-2023), Alberto Greco (1931-1965) et Mario Pucciarelli (1928-2014). En 1952, Inès Blumencweig bénéficie d’une exposition au Museo de Artes Plásticas Eduardo Sívori à Buenos Aires. Deux ans plus tard, elle participe à une exposition de jeunes peintres surréalistes à la Galerie Wilenski à Buenos Aires également. Les œuvres d’Inès sont aussi présentées à la Galerie Galatea en 1956, à la Galerie Plástica en 1957 et à la Galerie Rubbers en 1958.

LES ANNÉES 1960 : VOYAGE AUX ÉTATS-UNIS ET INSTALLATION EN ITALIE

Inès Blumencweig épouse Mario Pucciarelli en 1960. Cette même année, une exposition personnelle au Museo de Arte Moderno de Buenos Aires lui est consacrée. Entre 1960 et 1961, des œuvres d’Inès Blumencweig sont incluses à l’exposition itinérante Pintura Argentina contemporánea, qui présente des artistes argentins dans les musées d’art contemporain de Mexico, Rio de Janeiro et Buenos Aires.

Mario Pucciarelli remporte le Prix national de peinture Torcuato Di Tella, qui était alors le principal mécène pour l’art d’avant-garde argentin. Le peintre obtient ainsi une bourse pour vivre un an à Rome. Grâce à ce prix, Mario Pucciarelli est aussi nominé pour la bourse Guggenheim, une récompense américaine décernée annuellement depuis 1925 par la Fondation John-Simon-Guggenheim. C’est l’occasion pour le couple de voyager aux États-Unis à l’automne 1960. Ils visitent New York et Washington. Ils y découvrent le courant de l’Abstract Expressionism : c’est un choc pour Inès Blumencweig qui rentre de ce voyage avec l’envie de faire table-rase et d’envisager la peinture tout à fait autrement. En cela, elle s’inscrit parfaitement dans les tendances artistiques du début des années 1960 qui veulent rompre avec la peinture de la décennie précédente. C’est sous cette impulsion qu’Inès Blumencweig introduit le métal dans son travail.

(1) L’expression a été inventée par l’écrivain Alberto Gerchunoff dans son livre Los Gauchos judíos (1910).

Inès Blumencweig et Mario Pucciarelli s’installent à Rome en 1961. Le prix remporté par Mario leur permet d’obtenir un atelier au cœur de la ville, Via del Babuino. Le couple commence à vendre des œuvres et Inès a également des revenus grâce à son activité de journaliste pour des revues d’art. Ils s’installent à Rome définitivement.

Les années 1960 sont une décennie d’effervescence artistique en Italie, entre l’Arte povera de Germano Celant, l’Arte programmata (branche italienne de l’art cinétique) et le Spatialisme de Lucio Fontana. Le couple Pucciarelli-Blumencweig fréquente toute une communauté d’artistes parmi lesquels Lucio Fontana (argentin également), Mimmo Rotella (1918-2006), Carla Accardi (1924-2014), Antonio Sanfilippo (1923-1980), Umberto Mastroianni (1910-1998), Achille Perilli (1927-2021), Piero Dorazio (1927-2005), Afro Basaldella (1912-1976), Aldemir Martins (1922-2006) et Joaquin Roca Rey (1923-2004).

Inès Blumencweig contribue aux mouvements d’avant-garde italiens en créant des toiles percées de lames de métal. Elle introduit ainsi les notions de rythme, d’espace et d’optique dans ses œuvres et joue sur l’ambivalence entre peinture et sculpture. Inès Blumencweig fait preuve d’une grande virtuosité technique dans la maîtrise de ces matériaux grâce à ses études en arts décoratifs. L’artiste nomme ces œuvres métalliques Structures sensibles. En 1963, le Musée d’art moderne de Miami lui consacre une exposition personnelle. À partir de 1964, plusieurs galeries romaines présentent son travail, notamment la Galleria Pogliani et la Galleria P21 ainsi que la Galleria La Metopa à Bari.

Tout en continuant ses recherches artistiques, elle travaille entre 1965 et 1990 comme journaliste d’art pour l’ANSA (Agenzia Nazionale Stampa Associata) principale agence de presse italienne et la cinquième dans le monde, fondée à Rome en 1945. Elle commente ainsi la vie culturelle italienne et reste très attentive aux innovations artistiques de son époque. Inès contribue également à des revues latino-américaines depuis Rome.

LES ŒUVRES DE BOIS ET DE NYLON

À la fin des années 1960, Inès Blumencweig remplace le métal par des supports en bois qu’elle coupe, perce et peint à l’acrylique, à la gouache ou à la laque. Le support adopte toutes sortes de formes géométriques, émancipé du traditionnel format rectangulaire. Inès y ajoute des rubans colorés en nylon qu’elle tend, vrille et enroule et dont les contorsions rappellent les bandes colorées des œuvres cinétiques.

En 1980, la Galleria P21 à Rome organise ce qui restera la dernière exposition individuelle d’Inès Blumencweig pendant 42 ans, jusqu’à la récente exposition personnelle à la Maison de l’Amérique latine en 2022. De 1981 à 1987, Inès vit en France, entre Paris et Nice. Elle y bénéficie de quelques expositions dans des galeries et continue son travail de bois et de rubans en nylon. Elle retourne ensuite à Rome. Bien qu’Inès Blumencweig s’inscrive pleinement dans les recherches plastiques de son temps, son travail reste confidentiel. Même si son œuvre est présenté plusieurs fois en Italie, elle y est souvent présentée comme « artiste étrangère ».

LA REDÉCOUVERTE DE L’ŒUVRE D’INÈS BLUMENCWEIG

L’œuvre d’Inès Blumencweig est redécouverte en 2020 à l’occasion d’une étude sur le travail de son époux par l’ISLAA (Institute for Studies on Latin American Art). Fondé en 2011 et basé à New York, cet institut poursuit une mission d’enrichissement des connaissances de l’art moderne et contemporain d’Amérique latine à travers un programme d’expositions, de publications et de conférences à la disposition du public, des étudiants et des chercheurs. Jordi Ballart, directeur de projet à l’ISLAA et commissaire d’exposition, rencontre Inès Blumencweig dans son atelier à Rome. Il organise ensuite une exposition à la Maison de l’Amérique Latine à Paris en 2022-2023 : Inès Blumencweig, Structures sensibles. L’exposition rend hommage à l’artiste à travers onze œuvres significatives créées entre 1961 et 1978, prêtées par la Collection ISLAA de New York. Cette exposition personnelle d’Inès Blumencweig est la première depuis 1980. Elle met en lumière sa contribution aux mouvements artistiques italiens des années 1960 et 1970, notamment du Spatialisme, de l’Arte povera et de l’Arte programmata.

Benjamin de Roubaix & Mathilde Gubanski © Galerie Diane de Polignac

Avec la participation de Jordi Ballart Institute for Studies on Latin American Art (ISLAA)

Inès Blumencweig, Buenos Aires, 1965 ca.

Inès Blumencweig & Mario Pucciarelli, Rome, 1960

Inès Blumencweig & Mario Pucciarelli, Rome, 1962

Inès Blumencweig & Mario Pucciarelli, Rome, 1962

COLLECTIONS (SÉLECTION)
Buenos Aires (Argentine), Musée d’Art moderne de Buenos Aires
Buenos Aires (Argentine), Association Arte de la Argentina
Calasetta (Italie), MACC – Musée d’art contemporain de Calasetta
Miami, FL (États-Unis), Musée d’art moderne
Montevideo (Uruguay), Musée d’art moderne
New York (États-Unis), Institute for Studies on Latin American Art, ISLAA
Paris (France), Fonds d’art contemporain – Paris Collections

EXPOSITIONS (SÉLECTION)
Exposition personnelle, Museo de Artes Plásticas Eduardo Sívori, Buenos Aires, 1952
Exposition de groupe, 6 peintres surréalistes, Galerie Wilenski, Buenos Aires, 1954
Exposition de groupe, 4 peintres surréalistes, Club Cuatro Vientos, Buenos Aires, 1955
Exposition de groupe, Premier salon d’art moderne de Mar del Plata, 1956
Exposition personnelle, Galerie Galatea, Buenos Aires, 1956
Exposition personnelle, Galerie Plastica, Buenos Aires, 1957
Exposition personnelle, Galerie Rubbers, Buenos Aires, 1958, 1961, 1964
Exposition de groupe, Arte moderno des Rio de la Plata, Museo Sívori, Buenos Aires, 1959
Exposition personnelle, Galerie Yumar, Buenos Aires, 1960
Exposition personnelle, Museo de Arte Moderno, Buenos Aires, 1960
Exposition itinérante collective, Pintura Argentina contemporànea, qui présente des artistes argentins dans les musées d’art contemporain de Mexico, Rio de Janeiro et Buenos Aires, entre 1960 et 1961
Exposition de groupe, Galerie Barsasky, Rio de Janeiro, 1961
Exposition de groupe, 8 pintores y escultores, Galerie il corso, Milan, 1961
Exposition personnelle, Musée d’art moderne de Miami, Miami FL, 1963
Exposition de groupe, Argentina en el Mundo, Fundacion Torquato Di Tella, Buenos Aires, 1963

Exposition personnelle, Galerie Pogliani, Rome, 1964
Exposition personnelle, Galerie La Metopa, Bari, 1965
Exposition de groupe, Suono-movimento-colore, Galerie il obelisco, Rome, 1966
Exposition de groupe, Immagini di spazio, Galerie Feltrinelli, Rome, 1966
Exposition de groupe, Biennale Romana e del Lazio, Rome, 1967
Exposition de groupe, IVe Biennale d’art du métal, Gubbio, 1967
Exposition de groupe, Galerie Méduse, Rome, 1967
Exposition de groupe, Participation au Prix Salvi, Sassoferrato, 1968
Exposition de groupe, Vision 12 (avec entres autres Lucio Fontana, Juan Rocca,Rey…) Institut Italo-Latino Américain, Rome, 1969
Exposition de groupe, Xe Quadriennale de Rome, 1977
Exposition de groupe, Première Biennale italo-latino-américaine de techniques graphiques,
Institut italo-latino-américain, Rome, 1979
Exposition personnelle, Galerie P21, Rome, 1980
Musée d’art moderne de Rio de Janeiro, 1981
Exposition de groupe, Salon d’automne, Grand Palais, Paris, 1981
Exposition de groupe, Salon des Grands et Jeunes d’aujourd’hui, Grand Palais, Paris, 1982, 1983
Exposition de groupe, Art+Objet, Grand Palais, Paris, 1984
Exposition personnelle, Inès Blumencweig, Structures sensibles, Maison de l’Amérique Latine en collaboration l’ISLAA, Paris, du 13 octobre 2022 au 7 janvier 2023

BIBLIOGRAPHIE (SÉLECTION)

Maria Laura San Martin, Pintura Argentina Contemporánea, Editorial La Mandrágora, Buenos Aires, 1961
Filiberto Menna, Blumencweig, Galerie Pogliani, Rome, 1964
Enrico Crispolti, Blumencweig, Nuova Foglia, Macerata, Italie (collection panorama de l’art moderne – graphisme), 1971
Córdova Iturburu, Ochenta Años de Pintura Argentina, Editorial Librería de la Ciudad, Buenos Aires, 1978

Inès Blumencweig, Argentine, 1945 ca.

Inès Blumencweig, Musée du Verre, Venise, 1968

La Galerie Diane de Polignac remercie chaleureusement Inès Blumencweig pour sa confiance. La Galerie remercie
également Benjamin de Roubaix pour son implication et son témoignage fondamental ainsi que la famille Pucciarelli.

La Galerie Diane de Polignac remercie Ariel Aisiks et Jordi Ballart de l’Institute for Studies on Latin American Art (ISLAA) pour leur collaboration et leur aide précieuse.

La Galerie Diane de Polignac remercie Domitille d’Orgeval pour son texte enrichissant sur cette période artistique.

INÈS BLUMENCWEIG
Structures dynamiques
Exposition du 18 janvier au 24 février 2024

Galerie Diane de Polignac
2 bis, rue de Gribeauval, Paris
www.dianedepolignac.com

Traduction : Lucy Johnston
Conception graphique : Galerie Diane de Polignac

ISBN : 978-2-9584349-5-3
© Galerie Diane de Polignac, Paris, janvier 2024
Les textes sont la propriété des auteurs

Inès Blumencweig, 2016
Courtesy of the Institute for Studies on Latin American Art (ISLAA) Library and Archives
Droits réservés

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