Baignée de la lumière du sud de la France, nichée au milieu de la nature, le Domaine de La Baume sera une source d’inspiration et le refuge ultime du peintre Bernard Buffet, ce grand peintre tourmenté.
À l’instar de nombreux peintres modernes, le peintre Bernard Buffet est fasciné par les couleurs et la lumière du sud de la France. La Provence est fondamentalement une terre d’artistes : Paul Cézanne à Aix-en-Provence, Vincent van Gogh et Paul Gauguin à Arles, Nicolas de Staël dans le Lubéron, Pierre Bonnard au Cannet, Pablo Picasso et la Côte d’Azur… On retrouve chez ces peintres la même fascination pour les larges façades jaunes, le ciel bleu azur et les grands arbres aux ombres longilignes. La région inspire également les peintres abstraits comme Marie Raymond par exemple.
Nicolas, le fils du peintre Bernard Buffet, témoigne de « l’amour et l’infinie douceur que [s]on père portait à la culture du bassin méditerranéen [1]». L’artiste trouve ainsi un dernier souffle d’inspiration et de sérénité dans sa demeure provençale qu’il aime tant.
[1] Bernard Buffet Aujourd’hui, catalogue d’exposition, Galerie Diane de Polignac, Paris, 2020
L’artiste peintre Bernard Buffet et sa famille emménagent au Domaine de La Baume en 1986. Il s’agit d’une grande demeure provençale entourée de quarante hectares de nature, à Tourtour dans le Haut-Var. L’installation de Bernard Buffet dans cette maison ouvre la dernière période de sa vie. Plus isolé qu’auparavant, Buffet passe la plupart de son temps dans cette propriété. Le peintre aime profondément sa maison, il s’y sent bien et veut y passer du temps. Sa femme Annabel raconte : « Bernard attache une extrême importance à l’endroit où nous vivons pour la simple et bonne raison qu’il le quitte à peine. Le travail et les loisirs sont concentrés dans cet endroit. Là seulement il est vraiment lui-même. Extrêmement sensible, Bernard semble avoir trouvé un refuge dans ce lieu exceptionnel, où loin d’un monde qui le confronte à la violence, il peut renouer avec sa passion pour la peinture, avec son goût pour la vie tranquille, en particulier dans sa recherche de sérénité [2]».
[2] Nicholas Foulkes, Bernard Buffet : The invention of the modern mega-artist, Arrow books, Londres, 2016
Le peintre Bernard Buffet passe ainsi beaucoup de temps dans sa propriété. La Baume devient naturellement une source d’inspiration et l’artiste la peint de 1987 à 1997. Il représente des vues extérieures : la façade, la chapelle, la fontaine, la piscine… mais aussi des vues intérieures : la salle de bain, la cuisine… Annabel Buffet raconte : « Et sur le chevalet trônait notre maison. Bernard avait décidé d’en faire des paysages et des vues intérieures, à la manière d’un portrait fouillé de quelqu’un que l’on aime… Il voulait en capter l’atmosphère et la beauté, peut-être pour expliquer l’amour qu’il lui porte ».
Il est intéressant de se plonger dans cette période des années 1980-1990 où la peinture de Bernard Buffet est particulièrement biographique. L’artiste représente des endroits véritablement visités, des maisons qu’il a habité et également des autoportraits. Il peint deux séries très importantes : Don Quichotte, puis le Capitaine Nemo. Ces deux personnages solitaires, tirés de la littérature, peuvent tout à fait être placés dans la continuité du travail autour de l’autoportrait. Le choix de ces deux sujets souligne la vie plus recluse menée par l’artiste à ce moment-là.
Représentée de nombreuses fois, La Baume devient un des symboles de l’œuvre du peintre. Le tableau présenté ici montre la maison et son pigeonnier. Cette œuvre se caractérise par la présence de lignes noires qui cernent et géométrisent chacun des éléments de la composition. Les fenêtres sont figurées par des rectangles noirs, comme l’artiste peintre Bernard Buffet en a l’habitude dans la représentation de ses architectures. Les fenêtres de Buffet sont toujours « aveugles », on ne peut distinguer ce qu’il se passe à l’intérieur.
On aperçoit également dans cette œuvre des techniques de peinture qui dynamisent la toile et qui sont typiques de cette période. L’artiste peint par exemple les feuilles des arbres avec les doigts. Pour les hautes herbes et buissons, il crée de très beaux effets de matière en écrasant le tube de peinture directement sur la toile. Pour représenter le grillage, Buffet gratte dans l’épaisseur de la peinture noire avec le bout de son pinceau. L’artiste crée également des projections de peinture, ce qui apporte beaucoup de mouvement à l’œuvre. Bernard Buffet applique donc la peinture à l’huile en épaisseur, avec un geste nerveux et expressionniste qui rappelle la manière du dernier van Gogh.
La composition est représentée avec une perspective relevée : tous les plans sont rabattus vers l’avant pour nous être présentés avec beaucoup d’expressivité. Cette manière vient des estampes japonaises et était particulièrement appréciée des peintres impressionnistes. Buffet, grand dessinateur, déforme souvent les perspectives et les échelles pour nous offrir une composition la plus lisible possible. L’artiste choisi de nous faire entrer dans l’œuvre par le chemin. Notre regard est guidé vers le fond du tableau. Le spectateur est comme invité à rejoindre le peintre dans sa demeure.
Le Domaine de La Baume, dernière maison de l’artiste Bernard Buffet, est l’un de ses sujets de prédilection à la fin de sa vie. Mû par une intense énergie créatrice, l’artiste représente la demeure sous tous les angles, la rendant éternelle. Ce lieu de silence est l’oasis ultime de cet artiste tourmenté. Annabel Buffet raconte : « il semblait avoir trouvé en ce lieu d’exception un refuge où renouer avec son goût pour la vie calme ».
Mathilde Gubanski
© Mathilde Gubanski / Galerie Diane de Polignac