Artiste pluridisciplinaire, le peintre Guy de Rougemont est avant tout un peintre, un peintre inclassable. Son œuvre colorée et ludique se situe à la frontière du Pop Art et du Minimalisme.
Prônant le décloisonnement des arts, il se nourrit de sa peinture pour explorer l’espace et créer environnements, sculptures, arts décoratifs, mobilier d’artiste…
L’artiste peintre Guy de Rougemont naît à Paris en 1935. Il suit les cours de l’École supérieure des arts décoratifs de Paris, de 1954 à 1958, où il est l’élève de Marcel Gromaire : auprès de cet artiste post-cubiste, Rougemont apprend déjà que « toute droite doit être compensée par une courbe et vice-versa » (Jérôme Bindé).
Boursier d’État, il part ensuite étudier à la Casa de Velázquez de Madrid : il y reste de 1962 à 1964. À Madrid, il poursuit sa formation, s’imprègne du « curviligne baroque » (Dominique Le Buhan), alimente son réservoir de formes futures.
Sa première exposition personnelle a lieu à New York aux D’Arcy Galleries, en 1962. Entre 1965 et 1966, Rougemont passe un an à New York. Il y rencontre Andy Warhol et Robert Indiana. C’est au contact des artistes américains et du Minimalisme que Rougemont s’ouvre à la peinture acrylique grand format, mesure la force des formes simplifiées, épurées et de la puissance de la couleur en
aplat.
Dès 1967, le peintre Guy de Rougemont commence à travailler sur l’ellipse, première forme géométrique qui l’obsède. Ce cercle allongé, Rougemont l’expérimente par la peinture vinylique sur la surface plane de la toile, laissée par endroit nue, comme la peau brute du support.
Renaud Faroux écrit : « Guy de Rougemont a inventé une galaxie faite de formes cylindriques, d’ellipses, de totems, de lignes serpentines qui proposent une symbiose polychrome entre le Minimalisme et le Pop Art. »
Puis une forme nourrissant une autre, Rougemont passe de l’ellipse au cylindre.
Bernard Chapuis explique : « Rougemont s’est si loin aventuré dans les rondeurs paisibles ou provocantes des ellipses, dans leurs creux les plus allusifs, qu’il en éprouve un sentiment d’encerclement (…). Poussée dans ses derniers retranchements, l’ellipse menaçait de s’abandonner au baroquisme, de se compliquer inutilement. Le passage au cylindre marque moins un changement de cap qu’un changement d’état. »
À partir de 1971, le cylindre devient la figure obsédante dans l’œuvre de Rougemont. Ce corps arrondi et allongé, qui conjugue le cercle et la ligne, devient à la fois la nouvelle forme privilégiée de ses volumes polychromes, et son nouveau support de mise en couleur dans l’espace.
Et l’artiste de confirmer : « Le tube est venu en 1970. Jusqu’alors mon répertoire de formes était basé sur l’ellipse. Le tube c’est le cylindre – circulaire en plan, rectiligne en élévation – la courbe et la droite s’y retrouvent fondamentalement – et les reflets sur un cylindre peuvent être elliptiques. » Le cylindre avec Rougemont, c’est la version magnifiée du tube industriel, du poteau, nouveau réflexe en architecture aussi.
Le cylindre, c’est la colonne dorique selon Rougemont, épurée au maximum. C’est aussi le totem des temps modernes, l’emblème des sociétés traditionnelles revisité.
Dès lors, le cylindre, devenu colonne, devenu totem, peuple espaces publics comme espaces privés. Il sera très vite une forme emblématique au cœur de l’œuvre du peintre Guy de Rougemont.
Dressé seul dans le paysage urbain, tel le Totem planté sur la Place Albert Thomas à Villeurbanne (1981), ou pensé en groupe de sculptures, comme les forêts de cylindres au Musée de Sculpture en plein air de la Ville de Paris, Quai Saint-Bernard, (Interpénétration de deux espaces, 1975), le cylindre se pare d’anneaux et de formes géométriques multicolores pour arborer la palette de l’artiste, pour une « sublimation de la couleur » (Rougemont).
En « géomètre ludique » (Rougemont), l’artiste joue avec la forme du cylindre.
À Lisbonne, au Centre culturel franco-portugais, c’est une sculpture suspendue faite de colonnes accrochées au plafond (Cylindres stalactites, 1985). À Belfort, c’est une fontaine municipale qui présente une forêt de cylindres faits en marbre (1986). À Châteauroux, les cylindres viennent rythmer l’espace de la place de la République (2020).
Le peintre Guy de Rougemont aime déployer son univers artistique dans des environnements qu’il crée à l’image des formes et des couleurs qui l’habitent. Ses commandes, privées ou publiques, lui permettent de décloisonner les disciplines artistiques – ce qu’il souhaite tant, et permettent à Rougemont de marier création artistique et architecture, création artistique et urbanisme.
À Paris, dans le hall d’accueil du nouvel Hôpital Saint-Louis, les cylindres sont rassemblés par deux ou trois, « non sans rappeler, comme le souligne Bernard Chapuis, le Yose-Uye, style forestier où les maîtres du bonsaï pratiquent la plantation groupée » (1985).
Avec Rougemont, l’art s’adresse à tous, se met à la portée de tous. L’art se démocratise et atteint les zones périphériques urbaines, tel le quartier de l’Arlequin, ensemble de La Villeneuve à Échirolles (1974) dont la sculpture monumentale présente une forêt de cylindres, devenue emblématique de ce lieu de vie de l’agglomération grenobloise.
Le cylindre est aussi au coeur de l’Environnement pour une autoroute, projet phare et original de Rougemont qui s’étend sur les bas-côtés d’une portion de 30 km de l’A4, l’Autoroute de l’Est en France. Toute une forêt de sculptures polychromes de l’artiste rythme le paysage routier, ainsi que des sphères, des cubes, des dalles géométriques… aux couleurs de l’artiste.
Le projet de la Mise en couleurs du Musée d’Art moderne de Paris en 1974 est pour l’artiste Guy de Rougemont la parfaite mise à exécution de son expérience du cylindre.
Sur les vingt colonnes du péristyle du musée, l’artiste recouvre d’une gaine de couleur l’ensemble de la colonnade. Mais ce revêtement ne nie pas l’ossature première du bâtiment, tout au contraire, car ces fourreaux colorés qui n’épousent pas la totalité des fûts, laisse entrevoir la peau de l’édifice, son appareil de pierres.
Au cœur de la capitale et au seuil d’un musée, ces poteaux colorés deviennent pour une durée éphémère, l’étendard de Rougemont.
En 1975, le Musée d’Art moderne de Paris achète d’ailleurs à l’artiste son groupe de sculptures Huit grands tubes sur socle.
Au-delà de l’espace urbain, le cylindre du peintre Guy de Rougemont franchit les frontières de l’Hexagone et vient se fondre dans le paysage même, d’un bout à l’autre de la planète : de l’Open Air Museum à Hakone au Japon (1983) au Parc métropolitain de Quito, en Équateur (1998).
Plus récemment, le peintre Guy de Rougemont reprend l’idée du cylindre et dessine un nouveau Totem à l’occasion de la 58e Biennale de Venise : édité par la Galerie Diane de Polignac, ce Totem fut exposé dans la cour intérieure du palais Contarini- Polignac en octobre 2019.
Rien n’est moins étonnant que l’artiste se soit inspiré de ce célèbre palais vénitien, lieu de culture et de rencontres, pour choisir la polychromie de son oeuvre.
Adrien Goetz remarque justement à ce sujet : « La façade du palais où il intervient est une des grandes surfaces colorées et une des plus superbement délavées du Grand Canal, avec ses marbres et ses briques, son toit de tuiles, son cabochon de porphyre. Rougemont n’y fait pas écho, mais il a choisi le rouge et l’orange pour la partie haute du totem, triangles et losanges sombres sur un fond blanc pour la partie médiane, le mouvement vert et jaune des pieux qui rythment canal pour la base. »
Totem 2019 est indéniablement lié à son écrin vénitien pour lequel il a été pensé. Il y a dans cette colonne dressée un écho évident aux piloris si emblématique de la Sérénissime ; aux deux Colonnes de la Piazzetta, Saint Marc et Saint Théodore aussi.
Serait-ce la troisième colonne perdue des Vénitiens, comme l’imagine Adrien Goetz ? « Lorsque les deux colonnes les plus célèbres du monde, celle de Saint Théodore tuant son dragon en forme de crocodile et celle du Lion arrivèrent à Venise en 1172, l’histoire d’un troisième monument, un marbre disparu, naquit aussitôt (…). La voici retrouvée, cette “colonne du doge”, cachée par Guy de Rougemont au centre de cette bâtisse qui semble – effet de miroir – avoir été édifiée autour d’elle. »
Il y a aussi dans la polychromie de ce Totem bariolé et dans ses et jeux de formes : losanges noirs sur fond blanc, anneaux de couleur, un clin d’oeil à l’Arlequin, ce personnage emblématique de la Commedia dell’arte, reconnaissable entre tous par son costume fait de triangles multicolores.
Totem 2019 témoigne bien de l’inépuisable imagination de Rougemont, de son approche ludique d’appréhender les lieux.
D’une grande simplicité, ses formes épurées sont le fruit d’une profonde réflexion, nourrie d’une grande culture.
© Galerie Diane de Polignac / Astrid de Monteverde
© ADAGP, Paris 2020 pour les oeuvres de Guy de Rougemont