Jean Miotte est un peintre français dont l’abstraction personnelle le place à la frontière entre l’Art informel, le Tachisme et l’Abstraction lyrique.
Cet artiste est particulièrement attaché à la représentation du mouvement dans son oeuvre picturale.
Cette préoccupation est parfaitement illustrée dans l’oeuvre présentée ici.
Le peintre Jean Miotte naît à Paris en 1926 et passe son adolescence dans un Paris occupé : il a dix-huit ans à la fin de la guerre.
« C’est dans ce contexte de bouleversements et de chocs idéologiques planétaires, que s’exacerbera son désir d’autres valeurs, d’autres engagements spirituels. De là,
date son hostilité à tout embrigadement, à tout effet de groupe. À dix-neuf ans, il l’a décidé, son chemin sera solitaire. »1
1 – Miotte La permanence et l’absolu, Serge Lenczner, Chelsea art
museum, 2006
Après des études de mathématiques, l’artiste peintre Jean Miotte découvre la peinture lors de son service militaire en 1946. Il peint alors les murs de la caserne et raconte : « J’avais été frappé par la laideur des locaux et des décorations murales environnantes et je me jurais dès la première minute de transformer cela. »2
En 1947, pour parfaire sa formation artistique, Jean Miotte fréquente l’atelier du peintre Fauve Émile Othon Friesz, puis l’atelier d’Ossip Zadkine, peintre et sculpteur cubiste. Jean Miotte est également très marqué par l’oeuvre de Fernand Léger. Les artistes cubistes ont en effet une influence importante. Comme ses prédécesseurs ont décomposé pour recomposer, Miotte « dé-réalise ». Jean Miotte, c’est « l’orchestration d’un monde qui explose »3. L’artiste est alors attaché à la représentation du corps et apprend à le dessiner en mouvement.
2 – Miotte, Marcelin Pleynet, 1993, Cercle d’art, Paris
3 – Miotte, E, Karl Ruhrberg, 1998, La Différence, Paris
Jean Miotte s’entoure d’amis danseurs et chorégraphes comme Zizi Jeanmaire et Wladimir Skouratoff. Ce dernier l’emmène à Londres pour assister à des représentations de la Compagnie de ballet du colonel Basile. La danseuse étoile des Ballets du Marquis de Cuevas, Rosella Hightower, invite Jean Miotte à Monte-Carlo où il travaille sur des décors de théâtre. Jean Miotte raconte « Là commencèrent quelques aventures assez drôles qui débutèrent dans le monde de la danse. (…) Je savourais les premiers émerveillements et découvertes du monde
chorégraphique, de l’arabesque, de l’organisation scénique de la ligne, du rythme… »
Les premiers tableaux figuratifs du peintre Jean Miotte représentent souvent des danseuses. Dans la filiation d’Edgar Degas, Jean Miotte voit dans ce sujet le prétexte parfait pour représenter le mouvement.
Le peintre Jean Miotte réalise ses premières oeuvres abstraites vers 1950. Peu à peu, la figure est dissoute dans l’arabesque.
Le geste de l’artiste est spontané, c’est une danse improvisée face à la toile. Sa peinture est son geste, la brosse et le couteau tracent son mouvement. La peinture et le peintre se meuvent à la même vitesse, en miroir.
Jean Miotte est porté par « quelque chose de sacré dans l’énergie de vivre »4
4 – Jean Miotte, Francis Spar, Connaissance des Arts, n°41, novembre 1963
La peinture de l’artiste Jean Miotte est nourrie du jeu dramatique et de la performance. L’artiste rêve d’une synthèse de la musique, de la peinture et de la chorégraphie, dans la filiation des théories de l’art total du compositeur Richard Wagner. Ce concept tend à associer plusieurs pratiques artistiques afin de fusionner l’art et la vie. Jean Miotte suit parfaitement cette idée en traitant ses expériences biographiques de spectateur de ballet comme une école de peinture. C’est une expérience visuelle créatrice, comme le serait le passage dans l’atelier d’un grand peintre. Le critique Roger van Gindertaël parlait de la peinture de Jean Miotte comme « d’une harmonisation toute en tensions de la vie même, dans toute sa complexité et ses contradictions. »
Les idées de Richard Wagner du XIXe siècle sont de nouveau d’actualité au XXe siècle, grâce entre autres aux activités du Black Mountain College. Cette université libre et expérimentale est fondée en 1933 en Caroline du Nord aux États-Unis. Ce lieu privilégiait les pratiques artistiques d’avant-garde. En 1952, John Cage y réalise un évènement, connu comme le premier happening de l’histoire de l’art. Pendant 45 minutes, plusieurs activités artistiques se déroulent librement et en même temps : David Tudor joue du piano, Mary Caroline Richards et Charles Olson lisent des poèmes, Robert Rauschenberg projette des films au plafond, John Cage lit une conférence et Merce Cunningham danse. Cet évènement se déroule au sein d’un décor constitué de monochromes blancs de Robert Rauschenberg et d’un tableau abstrait en noir et blanc de Franz Kline.
Le peintre Jean Miotte, très sensible à la culture américaine, est fasciné par ces concepts liants l’art et la vie. Toujours en 1952, Jean Miotte rencontre le peintre américain Sam Francis et visite son atelier de Ville-d’Avray.
L’exposition Cinquante ans d’art aux États-Unis est présentée en 1955 au Musée d’Art moderne de Paris, puis, l’exposition Jackson Pollock et la nouvelle peinture américaine y est également présentée en 1959.
En 1958, le marchand Jacques Dubourg prend Jean Miotte sous contrat, en même temps que Jean-Paul Riopelle, Sam Francis et Joan Mitchell. En 1961, Jean Miotte participe avec Sam Francis, Georges Mathieu et Jean-Paul Riopelle aux expositions collectives de la Galerie Swenska-Franska à Stockholm et à la Galerie Bonnier à Lausanne.
La même année, il reçoit le Prix de la Ford Foundation et est invité aux États-Unis pour six mois. L’année suivante, une exposition personnelle lui est organisée à la Galerie Iolas à New York. Jean Miotte rencontre des artistes américains : Robert Motherwell, Mark Rothko, Chaïm Jacob Lipchitz et Alexander Calder. Jean Miotte parcourt les États-Unis et tient une conférence à Colorado Spring University.
En 1972, il séjourne de nouveau aux États-Unis, à New York et à Washington. Quarante-six de ses toiles sont exposées à l’International Monetary Fund à Washington.
En 1978, le peintre Jean Miotte installe son atelier à New York où il est représenté par la Martha Jackson Gallery. Le Guggenheim Museum acquiert deux de ses oeuvres sur papier en 1987. La fondation Jean Miotte est ouverte à New York en 2002 avec une collection permanente de ses oeuvres.
Le peintre Jean Miotte s’inscrit parfaitement dans le contexte artistique de la seconde moitié du XXe siècle, où le mouvement prend une place importante dans l’art pictural avec l’Abstraction lyrique, l’Action painting, l’art cinétique, l’Expressionnisme abstrait, la performance etc… Cette tendance a sans doute été inaugurée par Marcel Duchamp avec Anémique cinéma, un film expérimental réalisé en 1926 dans lequel des disques optiques tournoient pendant sept minutes.
Les tableaux de Jean Miotte sont créés dans un geste immédiat, une fulgurance. « Le mouvement est ma vie » rappelle-t-il. On le compare en cela à Jackson Pollock.
Jean Miotte ne passe jamais par le croquis. Le critique d’art américain Harold Rosenberg appréciait particulièrement cette pratique : « Le plus important dans l’art c’est la fraîcheur ».
Cette peinture libre et instinctive est également influencée par le surréalisme. L’esprit est libéré de toute contrainte de réflexion : « C’est l’intuition qui compte avant tout lors de la naissance de l’oeuvre ».
Jean Miotte évoquait son travail comme le « résultat de conflits intérieurs, ma peinture est une projection ; une succession de moments aïgus où la réalisation se fait en pleine tension spirituelle. La peinture n’est pas une spéculation de l’esprit ou de l’intellect, elle est un geste qu’on porte en soi ».
Jean Miotte rencontre Roberto Matta qui lui dit : « Le surréalisme est pour moi un combat. (…) Toi aussi, tu es un combattant, tu es comme moi, tes peintures ne
sont pas abstraites ». Le surréalisme aura également un rôle déterminant dans le développement de l’Expressionisme abstrait américain, notamment grâce à la présence aux États-Unis de Roberto Matta et de Marcel Duchamp.
Jean Miotte reçoit une commande de la ville de Paris : un grand format intitulé Sud qui est présenté dans le hall d’honneur de l’Opéra Bastille.
L’écrivain Castor Seibel disait de la peinture de Jean Miotte : « En dehors de toute figuration réaliste, c’est un évènement en soi qui trouve son expression dans la dynamique gestuelle et son équivalence dans la couleur… savoir réunir le contradictoire dans la forme semble possible chez Miotte, la sérénité le dispute au chaos, la douceur et le sauvage se côtoient dans le bonheur. »
Le peintre Jean Miotte s’inscrit fondamentalement dans son époque par ses préoccupations picturales fondées sur le mouvement, au moment où la performance devient un nouveau moyen de création. Le mouvement du peintre, de ses outils, de ses sujets, des spectateurs ou des oeuvres mêmes devient un élément essentiel de l’art de la seconde moitié du XXe siècle.
L’oeuvre présentée à la Galerie Diane de Polignac en est un parfait exemple : la large brosse noire inscrit sur la toile le geste véhément de l’artiste. La toile écrue laissée brute dans un angle souligne ce sentiment de rapidité d’exécution et les projections de peinture dynamisent la composition. Jean Miotte nous propose ici la représentation picturale d’une envolée créatrice.
Mathilde Gubanski
© Mathilde Gubanski / Galerie Diane de Polignac, 2020