Cette exposition ambitionne de montrer les apports artistiques de cinq femmes artistes à la peinture abstraite : Marie Raymond (1908-1989), Huguette Arthur Bertrand (1920-2005), Pierrette Bloch (1928-2017), Roswitha Doerig (1929-2017) et Loïs Frederick (1930-2013). Ces dernières ne forment ni une école ni un mouvement. Elles représentent cinq abstractions différentes, cinq libertés gagnées.
Afin de découvrir notre exposition, plongeons dans l’univers de chaque artiste à travers l’étude d’une œuvre.
Née en 1920 à Écouen en France, la peintre Huguette Arthur Bertrand, s’installe à Paris dans l’immédiat après-guerre. Elle s’immerge alors pleinement dans l’ébullition artistique de Saint-Germain-des-Prés, marquée par des débats passionnés entre figuration et abstraction, mais aussi entre partisans de l’abstraction « froide » et partisans de l’abstraction « chaude » : l’une géométrique ; l’autre gestuelle, lyrique, guidée par un geste libre et spontané à laquelle l’artiste s’identifie.
Huguette Arthur Bertrand se lie d’amitié avec les éditeurs, les critiques et les peintres abstraits, et s’impose au cœur de la deuxième génération d’artistes de l’Abstraction lyrique, née dans les années 1920 : François Arnal, Martin Barré, Pierre Dmitrienko, James Guitet, John Franklin Koenig, Kumi Sugaï… et certains artistes Cobra : Corneille et Jacques Doucet. Au cœur de ce groupe d’amis, essentiellement masculins, auprès de qui elle expose, la peintre Huguette Arthur Bertrand s’avère être une rare femme artiste. Une volonté de s’imposer donc, au point d’ajouter un prénom masculin à sa signature ou de tronquer son prénom : « Hug », pour faire autorité.
Au tournant des années 1960, l’artiste peintre Huguette Arthur Bertrand déploie toute l’assurance et la puissance de son geste créateur. L’artiste délaisse son écriture faite de stries aigues pour l’usage de la brosse noire, libre qui telle une danse, balaie la toile dans un mouvement souple et vigoureux. C’est bien le dynamisme dans l’espace qui l’obsède alors. La matière compte assez peu. Diluée, la peinture à l’huile que l’artiste utilise permet avant tout de structurer la composition par de larges champs colorés – souvent des tons chauds, rouge vermillon et orangé : ce sont le support de ses élans lyriques. Des forces contradictoires s’affrontent : à la rigueur de la composition qui la préoccupe depuis les commencements fait face une pulsion de liberté, un geste exalté, enflammé. L’artiste travaille dès lors ses compositions dans la profondeur et c’est la vigueur de la brosse plaquée sur la toile qui fait bouger les formes, comme « des mouvements qui découpent l’espace [1]» selon les mots de l’artiste.
[1] RTF/ORTF, Jean-Marie Drot et Christian Heidsieck, « L’art et les hommes », L’œil d’un critique avec Michel Ragon, émission du 4 février 1962, avec entrevue d’Huguette Arthur Bertrand
Au travers de ses œuvres, le spectateur entre alors dans le drama. À la croisée des forces élémentaires, l’œuvre de la peintre Huguette Arthur Bertrand se meut, s’anime dans une puissance toute opératique. Les éléments se déchaînent : la pluie s’abat, le vent souffle, le tonnerre gronde. Les titres véhéments des toiles en témoignent : Raz de marée, Cela qui souffle, Cela qui gronde, Foudre, Torrent… Rien d’étonnant que le critique d’art Michel Ragon, son fidèle ami, soutienne à l’égard de son œuvre : « Une peinture forte, une peinture d’un dynamisme qui semblerait masculin [2]».
L’œuvre Cela qui souffle de 1967 illustre parfaitement ce travail des années 1960. Le camaïeu de tons chauds accompagne la brosse vigoureusement plaquée sur la toile pour exprimer un lyrisme pleinement exalté.
[2] ibid