L’ART VIENT À VOUS N°16

ABSTRAITES :
Cinq femmes – Cinq expressions artistiques

EXPOSITION : 8 MARS – 16 AVRIL 2021

Cette exposition ambitionne de montrer les apports artistiques de cinq femmes artistes à la peinture abstraite : Marie Raymond (1908-1989), Huguette Arthur Bertrand (1920-2005), Pierrette Bloch (1928-2017), Roswitha Doerig (1929-2017) et Loïs Frederick (1930-2013). Ces dernières ne forment ni une école ni un mouvement. Elles représentent cinq abstractions différentes, cinq libertés gagnées.

Afin de découvrir notre exposition, plongeons dans l’univers de chaque artiste à travers l’étude d’une œuvre.

Chapitre 1 :
Marie Raymond, Grande Lumière
Par Mathilde Gubanski

marie raymond - atelier portrait paris 1950

Marie Raymond dans son atelier, Paris, vers 1950
Photo : Willy Maywald – droits réservés

L’artiste peintre Marie Raymond naît en 1908 à La Colle-sur-Loup dans le Midi. Elle se forme en peignant des paysages du Sud de la France sur le motif. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Marie Raymond choisit l’abstraction, une abstraction nourrie par les couleurs et la lumière des paysages de son enfance. La peinture de Marie Raymond sera solaire. Sa palette se compose de couleurs chaudes et lumineuses. L’artiste raconte ce choix personnel : « Je sentais cette vie éparse qu’il fallait ramasser en un tout, exprimer les états intérieurs qui contenaient pour moi les apports des impressionnistes : la lumière du midi – l’Espoir. Pour moi c’était cela, et un élan qui me poussait à l’exprimer. Tous ces accords épars, il fallait les amener à la lumière [1]».
En plus d’être peintre, Marie Raymond écrit des poèmes qui sont de véritables pendants à ses tableaux solaires.

[1] Marie Raymond, Notre vie

Lumière

Plusieurs, je te l’ai dit,
Plusieurs se sont brûlés.
Ils ont tourné tout autour,
Plus près, toujours plus près,
Le cercle s’enroulait en piétinant l’espace,
La lumière brillait.
Elle guettait sa proie
Elle, ne savait pas,
Elle brillait.
Elle mangeait la Vie.
Sur des chemins qui n’en sont pas,
Ils étaient à l’abri
Ils étaient affamés
De lumière
Elle, ne savait pas.
Comment lui reprocher
D’être si belle !
Mais où es-tu ?
Depuis que je te cherche.
Je te l’ai dit
Ils l’ont aimée
Elle, … les a brûlés

En 1957, Pierre Restany écrit : « L’univers de Marie Raymond retrace la belle histoire de la lumière et de ses mille jeux au travers d’un espace diffus, lieu sacré de cette totale imprégnation. Les trajectoires des rayons solaires tantôt directes, tantôt groupées en nébuleuses contradictoires, créent ici les éléments dynamiques d’une subtile ambiance méridienne où viennent se fondre les souvenirs écartelés des anciennes structures naturelles. (…) Son œuvre, empreinte de la joie sereine des matins de printemps, a su garder la saveur d’un mélodieux secret [2]».

Viennent ensuite les années difficiles pour l’artiste. L’artiste peintre Marie Raymond et Fred Klein divorcent en 1961. L’année suivante, leur fils Yves Klein meurt d’une crise cardiaque à l’âge de 34 ans seulement. Le père de Marie Raymond décède également d’une crise cardiaque en 1963. Ainsi, en l’espace de trois ans seulement, Marie Raymond n’est plus ni épouse, ni mère, ni fille. Son rôle de femme est définitivement bouleversé. Marie Raymond vit et crée pour elle-même pour la première fois à l’âge de 55 ans. Elle qui était au centre de la scène artistique parisienne se retire du monde de l’art.

De ces drames personnels, la peinture de Marie Raymond s’en trouvera définitivement changée. L’artiste retrouve l’inspiration dans sa passion pour le cosmos. Au-delà de la représentation des effets de lumière, Marie Raymond veut atteindre les astres : « Pour faire naître un monde, ne faut-il pas faire naître des étoiles ? ».

L’artiste peintre crée ainsi des œuvres fondamentalement personnelles, intimes. Elle peint pour elle sans se soucier de ses confrères, des collectionneurs, des galeristes. Dans cette nouvelle production, est-ce que la femme artiste « exprime le regret d’avoir vécu à l’ombre [3]» ?

[2] Pierre Restany, Marie Raymond, Organiste de la lumière, mai 1957
[3] Marie Raymond, extrait du poème Dans le soleil d’hiver

C’est dans ce contexte qu’est réalisée Grande Lumière (1981). Cette œuvre illustre parfaitement la fascination de l’artiste pour le cosmos. La multitude de petites touches jaunes rappellent le ciel étoilé ; les cercles pourraient être des planètes, des soleils, des astéroïdes… Marie Raymond est à la frontière entre abstraction et figuration : le titre du tableau nous donne un indice, un axe de lecture pour interpréter cet univers si personnel. L’œuvre n’est ni descriptive ni narrative, c’est un « miroir de l’être intime ».

Grâce à sa peinture, Marie Raymond transcende les moments les plus sombres. Elle est toujours en quête de clarté : « “La nuit n’est pas la nuit”, car il y aura l’aurore, l’espoir [4]».

[4] Marie Raymond, La nuit de l’été 76, publié dans +/0 (Bruxelles), n° 15,
décembre 1976, p. 21.

marie raymond - grande lumiere 1981 newsletter 16

MARIE RAYMOND
Grande Lumière, 1981
Acrylique sur toile
73,5 x 73,5 cm
Galerie Diane de Polignac, Paris

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