Né à Istanbul en 1931, l’artiste peintre Albert Bitran se rend à Paris à 17 ans pour suivre des études d’architecture. Très vite, la peinture le détourne de cette voie. Cependant, la géométrie, les lignes et les formes resteront essentielles dans la composition de ses œuvres.
[1] Jean Paris (1921-2003), écrivain
Le peintre Albert Bitran est marqué par les grands maîtres comme Paul Cézanne et Henri Matisse. Il en retient la simplification et la géométrisation des formes. Albert Bitran copie les œuvres de Cézanne dès sa jeunesse, avant même d’arriver à Paris.
Le peintre Albert Bitran est un grand admirateur d’Edgar Degas. Il retrouve chez lui son goût pour la ligne noire. « En vérité la couleur majeure c’est le noir. Je viens du noir, et toute ma vie, j’ai été préoccupée par la relation du fini et de l’infini » confie-t-il. Le noir est l’élément central autour duquel tout s’organise. La critique d’art Hélène Parmelin décrit ainsi la peinture d’Albert Bitran : « Elle a le raffinement des lumières sans couleur et la force des noirs sans ombres [2] ».
En 2010, Albert Bitran est à Londres à l’occasion de son vernissage à la Grosvenor Gallery. Son gendre l’informe avoir repéré dans une autre vitrine un peintre qui l’imite. Albert Bitran s’y rend et y découvre Femme à l’ombrelle d’Edgar Degas. Le peintre stambouliote se réjouit. Il retrouve en effet chez un peintre qu’il admire des caractéristiques de son propre travail : l’ombrelle esquissée qui forme une arche, la tête sombre devient comme un cercle au centre de la composition. Albert Bitran conservera une carte postale de cette œuvre dans son atelier en souvenir.
[2] Hélène Parmelin, Esquisse pour un portrait de Bitran, catalogue d’exposition, Galerie Ariel, 1969
On remarque une autre similitude entre Degas et Albert Bitran : les deux artistes questionnent les frontières entre peinture et dessin. Degas dessine avec la peinture à l’huile sur la toile, la ligne construit le tableau. Il laisse des espaces vides ce qui apporte une grande force expressive. Bitran dessine également sur la toile. On retrouve très souvent des traits de crayon dans ses peintures. Ces traits ne sont ni gommés ni recouvert, ils font partie de la composition au même titre que les lignes tracées à l’huile. Les deux peintres apprécient l’aspect esquissé et l’économie de moyen. L’écrivain Jean Paris écrit à propos de l’œuvre d’Albert Bitran : « Ce travail, comme tout grand art, est de suppression. Ou disons qu’il est duel : proposition / effacement. Si l’on préfère, l’opposé revenant au même en cette économie : dérobement / dévoilement. Plus on ôte, plus on approche de l’évidence, plus dur est le combat, plus incertain le but. [3] »
L’artiste peintre Albert Bitran fréquente également deux autres peintres contemporains passionnés par la couleur noire : André Marfaing et Pierre Soulages.
[3] Jean Paris, catalogue d’exposition de la Galerie Louis Carré en 1990
À Paris, le peintre Albert Bitran rencontre des artistes venus du monde entier, notamment Jesús Rafael Soto, Serge Poliakoff, Geer Van Velde et Georges Koskas qui comme lui s’intéressent à la géométrisation des formes. Bitran fréquente d’autres artistes eux aussi fascinés par l’architecture comme Fernand Léger et Maria-Helena Vieira da Silva.
Les formes géométriques ponctuent l’œuvre de l’artiste peintre Albert Bitran : le triangle, l’arche, le cercle… L’historienne de l’art Dora Vallier explique : « De toute évidence la géométrie fonde le travail de Bitran. De tableau en tableau à ses débuts, il ne fait que mesurer son efficacité formelle en la soumettant à de multiples variations pour en fin décompte la détourner et en arriver à utiliser la rigueur géométrique contre elle-même. La géométrie subvertie, devenue source de troubles. L’enjeu, de taille, mérite attention car il annonce ni plus ni moins ce qui des années plus tard au terme de maints et maints détours, marquera l’épanouissement de sa peinture [4] ».
Construisant ses œuvres à partir de lignes, il est naturel pour Albert Bitran de se tourner vers la gravure. Il explore de nombreuses techniques : aquatinte, eauforte, lithographie, sérigraphie… le peintre Albert Bitran apprend la gravure auprès d’imprimeurs expérimentés notamment Fernand Mourlot qui imprimait les affiches de Picasso et de Chagall entre autres.
Le critique d’art Jean-Dominique Rey explique : « Graver, pour Albert Bitran, (…) c’est exécuter d’un bout à l’autre une œuvre en soi, indépendante de la peinture (…) c’est surtout, entre hasard et trouvaille, surprise et décision, poursuivre une aventure fertile en découvertes [5] ».
[4] Dora Vallier, « Sans titre, pour Bitran », L’Art abstrait, Le livre de poche, 1967
[5] Jean-Dominique Rey, Préface à l’exposition d’œuvres graphiques, Resim ve Heykel Müzesi, Istanbul, 1983
Qu’il s’agisse de peinture, de dessin ou de gravure, la ligne est essentielle dans l’œuvre du peintre Albert Bitran. Elle construit, structure et rythme. Pourtant, l’artiste ne peut être qualifié d’abstrait purement géométrique. En effet, la ligne droite est toujours contrebalancée par un geste libre et expressif. L’œuvre d’Albert Bitran est ainsi une synthèse entre abstraction géométrique et abstraction lyrique.
Texte : Mathilde Gubanski
© Mathilde Gubanski / Galerie Diane de Polignac