L’ART VIENT À VOUS N°26

SERGE CHARCHOUNE
Primitif et complexe

serge charchoune - peinture composition geometrique 1943 newsletter l art vient a vous 26

Serge CHARCHOUNE (1888-1975)
Composition géométrique – 1943
Huile sur panneau – 50 x 73 cm
Galerie Diane de Polignac, Paris

Au début des années 1940, Serge Charchoune sort de la période de dénuement dans laquelle la crise  économique mondiale l’avait plongé depuis 1929. En 1942, il s’installe dans un atelier cité Falguière (XVe arrondissement de Paris) où il restera jusqu’en 1960. En 1943, il rencontre le grand collectionneur Roger Dutilleul qui lui présente le galeriste Raymond Greuze. Ce dernier exposera Charchoune pendant douze ans, de 1944 à 1956. Le marchand Edwin W. Livengood prendra l’artiste sous contrat en 1944.

UNE PEINTURE ABSTRAITE

Dans les années 1940, Serge Charchoune revient à la peinture abstraite dont il est l’un des pionniers, influencé par l’automatisme dada et surréaliste. L’artiste se rapproche du peintre Francis Picabia dès 1914 lorsqu’il vit à Barcelone. Comme ce dernier, Charchoune fait des aller-retours entre abstraction et figuration. «Alors, je préfère en conclure que Charchoune est en l’occurrence un ancêtre ignoré des improvisations physiques d’un Georges Mathieu ou d’un Soulages. » [1] écrira Alain Bosquet en 1974. Composition géométrique présent ici, est un tableau purement abstrait. Son titre ne donne aucun axe de lecture. L’œuvre est composée de plages colorées en camaïeux de bruns et de gris. Cette construction rappelle les tableaux de son compatriote russe Serge Poliakoff.

[1] Alain Bosquet, «Charchoune, Une archéologie de l’âme», dans le catalogue de l’exposition Charchoune, Galerie de Seine, Paris, 1974

francis picabia - aquarelle caoutchouc 1909 newsletter l art vient a vous 26

Francis PICABIA (1879 – 1953)
Caoutchouc – 1909
Aquarelle, gouache et encre de Chine sur carton – 47 x 61 cm.
Centre Pompidou, Paris

serge poliakoff - composition gris et noir 1951 newsletter l art vient a vous 26

Serge POLIAKOFF (1900 – 1969)
Composition gris et noir – 1951
Huile sur toile – 116 x 89 cm.
Centre Pompidou, Paris

UNE PEINTURE SILENCIEUSE

La peinture de Serge Charchoune est silencieuse, toute en retenue. Lui qui arrive à Paris au moment de l’explosion de la couleur, à l’apothéose de l’impressionnisme et des Fauves, regarde des modèles plus anciens. Il écrit «sur le plan de la peinture moderne, Paris ne fut pas pour moi une révélation, le Louvre en revanche m’enthousiasma». Charchoune découvre Delacroix qu’il admire particulièrement.

eugne delacroix - autoportrait au gilet vert 1837 newsletter l art vient a vous 26

Eugène DELACROIX (1798–1863)
Autoportrait au gilet vert – 1837
Huile sur toile – 65 x 54,5 cm.
Musée du Louvre, Paris

serge charchoune - autoportrait 1945 newsletter l art vient a vous 26

Serge CHARCHOUNE (1888-1975)
Autoportrait – 1945
Collection privée

Charchoune adopte ainsi une certaine rigueur qui lui vient des cubistes et des peintre puristes Le Corbusier et Amédée Ozenfant. Il trouve dans la peinture française une régularité et un dépouillement qui lui conviennent et qui rendent sa peinture presque «primitive» dont l’économie de moyens souligne la force expressive. Le critique d’art Pierre Brisset décrit la peinture de Charchoune comme : «un ornement qui sait se faire grave, austère, silencieux, d’une beauté mystique quasi bénédictine, où se fondent et se perdent les volumes en un chromatisme à peine perceptible de blancs, de bruns et de gris plus proches de la bure monacale que des artifices byzantins.»

amedee ozenfant - peinture grande nature morte 1926 newsletter l art vient a vous 26

Amédée OZENFANT (1886 – 1966)
Grande nature morte – 1926
Huile sur toile – 330 x 300 cm.
Musée d’art moderne de Paris, Paris

UNE PEINTURE PRIMITIVE

Serge Charchoune quitte sa Russie natale en 1912 pour s’installer à Paris, il a alors 24 ans. Même s’il essaye d’y retourner par deux fois : en 1917 puis en 1922, il échoue et ne rentrera pas dans son pays d’origine. C’est un artiste émigré, déraciné. Charchoune tente donc un retour à la terre à travers la peinture. La couche picturale est épaisse,
en relief. Les empâtements créent une matière tellurique. «Cela ressemble à une archéologie pratiquée en vue de fouilles prometteuses d’une grave et unique origine.» [2] Composition géométrique de 1943 est un fragment géologique d’un artiste à la recherche de ses racines. Cette problématique est particulièrement pertinente dans le contexte de conflit mondial et de populations déplacées. L’œuvre n’est pas créée par un dessin, mais par de la matière superposée sur une surface, une peinture aux couleurs terreuses. Ce tableau purement abstrait peut ainsi rappeler les forêts de bouleaux peintes par les artistes russes des XIXe e t X Xe siècles, comme la revendication d’une appartenance solidaire à une géographie.

[2] ibid

isaac levitan - le printemps est une grande eau 1897 newsletter l art vient a vous 26

Isaac LEVITAN (1860 – 1900)
Le printemps est une grande eau – 1897
Huile sur toile – 64 x 57 cm.
Galerie Tretiakov, Moscou

La peinture de Serge Charchoune est complexe et silencieuse. L’artiste creuse la matière comme il creuse en lui-même, archéologue de l’âme à la recherche de ses origines pour renaitre à nouveau. L’artiste nous montre le résultat de son introspection avec une grande dignité, «Vous avez de la noblesse» écrira Amédée Ozenfant.

Texte : Mathilde Gubanski
© Mathilde Gubanski / Galerie Diane de Polignac

serge charchoune - peinture composition geometrique 1943 newsletter l art vient a vous 26

Serge CHARCHOUNE (1888-1975)
Composition géométrique – 1943
Huile sur panneau – 50 x 73 cm.
Galerie Diane de Polignac, Paris

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