Au début des années 1940, Serge Charchoune sort de la période de dénuement dans laquelle la crise économique mondiale l’avait plongé depuis 1929. En 1942, il s’installe dans un atelier cité Falguière (XVe arrondissement de Paris) où il restera jusqu’en 1960. En 1943, il rencontre le grand collectionneur Roger Dutilleul qui lui présente le galeriste Raymond Greuze. Ce dernier exposera Charchoune pendant douze ans, de 1944 à 1956. Le marchand Edwin W. Livengood prendra l’artiste sous contrat en 1944.
Dans les années 1940, Serge Charchoune revient à la peinture abstraite dont il est l’un des pionniers, influencé par l’automatisme dada et surréaliste. L’artiste se rapproche du peintre Francis Picabia dès 1914 lorsqu’il vit à Barcelone. Comme ce dernier, Charchoune fait des aller-retours entre abstraction et figuration. «Alors, je préfère en conclure que Charchoune est en l’occurrence un ancêtre ignoré des improvisations physiques d’un Georges Mathieu ou d’un Soulages. » [1] écrira Alain Bosquet en 1974. Composition géométrique présent ici, est un tableau purement abstrait. Son titre ne donne aucun axe de lecture. L’œuvre est composée de plages colorées en camaïeux de bruns et de gris. Cette construction rappelle les tableaux de son compatriote russe Serge Poliakoff.
[1] Alain Bosquet, «Charchoune, Une archéologie de l’âme», dans le catalogue de l’exposition Charchoune, Galerie de Seine, Paris, 1974
La peinture de Serge Charchoune est silencieuse, toute en retenue. Lui qui arrive à Paris au moment de l’explosion de la couleur, à l’apothéose de l’impressionnisme et des Fauves, regarde des modèles plus anciens. Il écrit «sur le plan de la peinture moderne, Paris ne fut pas pour moi une révélation, le Louvre en revanche m’enthousiasma». Charchoune découvre Delacroix qu’il admire particulièrement.
Charchoune adopte ainsi une certaine rigueur qui lui vient des cubistes et des peintre puristes Le Corbusier et Amédée Ozenfant. Il trouve dans la peinture française une régularité et un dépouillement qui lui conviennent et qui rendent sa peinture presque «primitive» dont l’économie de moyens souligne la force expressive. Le critique d’art Pierre Brisset décrit la peinture de Charchoune comme : «un ornement qui sait se faire grave, austère, silencieux, d’une beauté mystique quasi bénédictine, où se fondent et se perdent les volumes en un chromatisme à peine perceptible de blancs, de bruns et de gris plus proches de la bure monacale que des artifices byzantins.»
UNE PEINTURE PRIMITIVE
Serge Charchoune quitte sa Russie natale en 1912 pour s’installer à Paris, il a alors 24 ans. Même s’il essaye d’y retourner par deux fois : en 1917 puis en 1922, il échoue et ne rentrera pas dans son pays d’origine. C’est un artiste émigré, déraciné. Charchoune tente donc un retour à la terre à travers la peinture. La couche picturale est épaisse,
en relief. Les empâtements créent une matière tellurique. «Cela ressemble à une archéologie pratiquée en vue de fouilles prometteuses d’une grave et unique origine.» [2] Composition géométrique de 1943 est un fragment géologique d’un artiste à la recherche de ses racines. Cette problématique est particulièrement pertinente dans le contexte de conflit mondial et de populations déplacées. L’œuvre n’est pas créée par un dessin, mais par de la matière superposée sur une surface, une peinture aux couleurs terreuses. Ce tableau purement abstrait peut ainsi rappeler les forêts de bouleaux peintes par les artistes russes des XIXe e t X Xe siècles, comme la revendication d’une appartenance solidaire à une géographie.
[2] ibid
La peinture de Serge Charchoune est complexe et silencieuse. L’artiste creuse la matière comme il creuse en lui-même, archéologue de l’âme à la recherche de ses origines pour renaitre à nouveau. L’artiste nous montre le résultat de son introspection avec une grande dignité, «Vous avez de la noblesse» écrira Amédée Ozenfant.
Texte : Mathilde Gubanski
© Mathilde Gubanski / Galerie Diane de Polignac